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101e km
19 mai 2021

À la radio, faut-il une fête ?

La radio fête son centenaire cette année et l’on voit que cet anniversaire sert surtout à se rassurer

https://www.csa.fr/Informer/Toutes-les-actualites/Actualites/Les-100-ans-de-la-radio-ca-se-fete-!-Rendez-vous-la-semaine-du-31-mai-2021

fête de la radioQui affirme que c’est le média préféré des Français, qui annonce une série de festivités, qui en profite pour rappeler son rôle dans l’histoire de la radio. Une recherche sur l’Internet a de quoi déconcerter dans la mesure où les premières réponses concernent une initiative de M. Laurent Ruquier… sur France2, la page du CSA mentionnée, celle d’Europe1 (nous y reviendrons) et tous les centenaires possibles et imaginables, sauf celui de la radiodiffusion. En fait, ça n’occupe pas plus d’espace que ça sur les différentes stations, toutes occupées à remplir leurs objectifs en terme d’audience, autrement dit en termes de revenus tirés de la publicité. Même la radio d’État, dite de service-public, doit maintenant afficher un résultat en termes commerciaux pour espérer obtenir une dotation au moins égale à celle de l’exercice précédent. L’État doit « faire des économies » et ça tient encore lieu de seule ligne politique désormais. Aux É-U, patrie de la libre entreprise où l’État est suspecté par tous, le Président Biden vient de lancer un plan de relance de l’économie d’un montant approximatif global de 6 000 milliards de dollars, excusez du peu, et ici, on mégote quelques millions d’euros pour offrir une radio de qualité. La question demeure de savoir si l’État doit continuer d’entretenir une radio généraliste pour le public de la France métropolitaine. Nous répondons que oui, même si la radio n’a plus la même utilité à l’heure des informations disponibles en permanence sur les smartphones, avec toutes les alertes possibles. Quant au divertissement, les mêmes smartphones proposent d’avoir sa propre musique et l’accès à des opérateurs qui fournissent des séries, des films et tout ce qu’on veut pour se détendre ou se cultiver. Nous avions attiré, voici plus de 10 ans, l’attention sur les Nouvelles pratiques d'écoute de la radio et plus récemment sur le Recul de l'écoute radio et indiqué que ce média, soi-disant préféré, n’était plus qu’une application parmi d’autres et encore plus incomplète puisqu’il manque à la fois la réactivité immédiate pour l’information et l’image pour la distraction.

Néanmoins, cet anniversaire donne lieu, comme on s’en doute, à l’autosatisfaction qui ressemble à un baroud d’honneur. Certes, la radio ne va pas disparaître à moyen terme mais son audience décroît. Il suffit d’en discuter avec les moins de 30 ans (pour être gentil) pour s’en convaincre. On trouve difficilement un site dédié : https://www.fetedelaradio.com/

 

Carbone14Comme si ça ne suffisait pas, les radios privées issues des radios libres de 1981 fêtent leurs 40 ans d’existence. Que sont les radios libres devenues ? Où sont Carol FM, Gilda, Radio Tomate, Pacific FM (la radio avec vue sur la mer), Carbone 14, Fréquence-Gaie, Radio Cigalle, Nanas-radioteuses, Oblique, Métropoles, Radio Lorraine-Cœur d’Acier,Radio Ivre  ? Qu’est devenue « la radio couleur » ? Elle existe encore mais, comme les autres, peut-être un peu moins quand même, elle diffuse de la publicité entrecoupée de quelques plages musicales. Comme disait un homme politique oublié, dès les premières années qui ont suivi leur création, c’est devenu « radio-pognon » et la jeunesse en ce début des 1980s est descendue dans la rue pour manifester pour le droit d’NRJ d’écraser toutes les autres avec son émetteur surpuissant. Ce n’était peut-être pas toute la jeunesse mais assez pour faire reculer le gouvernement de gauche qui avait pourtant libéré les ondes du monopole d’État et du brouillage. La gauche, justement, n’a pas cru en ses capacités et, ce n’est évidemment qu’une coïncidence, le fameux tournant de la rigueur correspond à la fin de l’aventure des radios libres, rentrées dans le rang du marché publicitaire. Même la deuxième vague de radios privées, profitant de l’expérience parfois malheureuse des premières, a vu nombre d’entre elles rester sur le carreau ou être reprises par les grosses, comme Kiss, Chic, Petit à petit, celles qu’on appelait désormais les « radios locales privées » ont cessé leur décrochage local, justement, pour imposer un programme unique partout où se trouvait un de leurs émetteurs. Programme est un bien grand mot pour de la variété ancienne, donc moins chère ou étrangère et amortie dans le pays d’origine. On peut appeler ça nostalgie ou saturday night fever mais c’est du réchauffé. Force est de constater que face à une variété actuelle médiocre et au rap uniformisé, il se trouve un public pour écouter en voiture la zique des 1980s. France Bleu n’est plus tout à fait ce réseau de stations locales avec leurs émissions, souvent en interaction avec leurs auditeurs. Force est de constater que c’est de moins en moins le cas et notamment depuis le recrutement d’animateurs vedettes. De sorte que France Bleu ressemble de plus à plus à ce qu’était France-Inter autrefois, à savoir une radio de services et de divertissements de qualité.

radio ivreParlant de variétoches, autre constat en écoutant les radios, c’est que chacune a son style – et c’est bien normal – mais aussi ses chanteurs maison dont on nous dit qu’ils viennent de sortir leur troisième album ou plus, labellisé du logo de la radio en question et dont seuls les auditeurs de la station ont entendu parler. C’est vrai d’Inter qui s’est spécialisé dans les chanteuses et chanteurs inaudibles, même en poussant le son (ce qui ne fait qu’amplifier l’accompagnement musical) mais les autres ne sont pas en reste avec des mièvreries ou de la soupe quelconque. La dictature de la « play-list », soumises aux diktats de la bien-pensance ou des intérêts économiques a pour résultat que l’auditeur qui serait fidèle à une station ne connaîtrait rien de la production musicale actuelle, hormis celle de la play-list. Pas la peine d’avoir des dizaines de stations de radios pour en arriver à une offre musicale aussi formatée et indigente. Il y a longtemps qu’on l’a dit et donc, indépendamment de ce qui précède mais le nouveau Brel, le nouveau Brassens ne pourrait pas passer sur les ondes des radios privées pas plus que de la radio nationale ; à supposer que le public ait envie d’entendre un nouveau Brel ou un nouveau Brassens.

 

gilda_152684043540 ans de radios libres, donc, mais bientôt 60 ans de radio qu’on est prié d’appeler de service-public. Fidèle à son style austère, Inter n’entend pas s’abaisser à célébrer « le média préféré des Français ». Elle a bien emboîté le pas avec un répondeur, mais rien sur la page du site Internet où l’on trouve pêle-mêle, Napoléon, André Comte-Sponville, Goldorak (en culture), le questionnaire de Proust (en humour) et même des conseils pour sexualité épanouie. Gageons qu’on aura droit à un sujet dans un journal parlé sur ces 100 ans, le jour où. C’est à dire, le jour où il sera trop tard pour participer, un peu comme la consultation de l’automne dernier où tout était fait pour qu’on ne participe pas. Allez, peut-être même aura-t-on droit à une journée thématique contre la volonté des producteurs qui verront mal de devoir consacrer leur émission à un thème imposé. Les 50 ans ont constitué une exception car, le reste du temps, hors de question de rendre hommage à un ancien animateur emblématique, à un ancien directeur et même au fondateur de la station. On apprend généralement sa disparition dans le bulletin d’information de 22 heures et l’on en parle à peine le lendemain matin. Sur les autres radios généralistes, c’est l’occasion de bousculer un peu des programmes qui ronronnent, d’apprendre des anecdotes sur les coulisses des émissions, de rappeler des bons souvenir. Sur Inter, lorsqu’on diffuse une archive sonore, on ne mentionne même pas le journaliste ou l’animateur qu’on entend. Nous rappelions que sur Europe 1, par exemple, on met un point d’honneur à mentionner l’ancien confrère et à puiser sa légitimité dans la continuité affichée d’une radio de qualité.

Inter, n’a pas besoin de ça, se suffit à elle-même. C’est la radio de la suffisance diffusée : nous sommes intelligents, nos auditeurs sont intelligents, maintenant, nous avons la meilleure audience et désormais plus rien ne peut ébranler nos certitudes. C’est le message qu’on perçoit en filigrane lorsqu’on écoute la radio de service-public. À titre d’exemple, le dernier https://www.franceinter.fr/emissions/le-rendez-vous-de-la-mediatrice/le-rendez-vous-de-la-mediatrice-30-avril-2021

nous donne le ton. À l’origine, ce rendez-vous devait rendre compte du mécontentement des auditeurs ou du moins de leur incompréhension. Le médiateur invitait un journaliste à s’expliquer. La conclusion convenue était que l’impétrant affirmait sa bonne foi, rappelait son professionnalisme et promettait de ne pas réitérer sa bévue car il avait entendu les interrogations des auditeurs. Dernièrement, nous signalions que la médiatrice montait en épingle une peccadille qui permettait à un journaliste d’exposer sa façon de travailler. Désormais, elle assure la promotion d’une offre d’Inter autre que la radiodiffusion. Le pilote d’Inter est tellement encadré et formaté qu’aucun producteur ne consentirait à inviter un confrère pour présenter son travail ou un responsable quelconque pour signaler une innovation ou une offre qui se veut originale.

radio libertaireParmi les autres radios qui ont plus de 40 ans, celles qu’on appelait « périphériques » autrefois, en raison de l’implantation de leurs émetteurs aux frontières de la France, c’est l’incertitude qui prévaut. Nous nous étions étonnés (RTL déménage) lorsqu’on a annoncé qu’RTL faisait désormais partie du groupe M6, dans la mesure où RTL, filiale du groupe Bertelsman, est une marque connue dans la moitié de l’Europe quand M6 est toujours « la petite chaîne qui monte » avec une audience tout à fait respectable mais loin derrière TF1 et France2. On comprend à présent qu’il s’agissait de valoriser M6 dans la perspective du démantèlement du groupe Bertelsman qui souhaite se séparer de ce qui l’a construit et consolidé, à savoir la presse magazine de qualité et les médias audiovisuels. Bertelsman n’est pas pressé et les repreneurs non plus. Ça tombe bien. Europe 1 demeure dans la tourmente. Cela fait des années, à présent, que le blog http://lanternediogene.canalblog.com/archives/medias/index.html reçoit chaque semaine la visite de dizaines d’internautes qui, visiblement, apprécient notre analyse de la Tempête sur Europe 1. Les journalistes de la station, même ceux qui ne font pas partie de la rédaction proprement dite, continuent de faire du bon boulot ; du moins avec les critères d’exigence actuels. Exercice obligé, chaque publication des résultats d’audience donne lieu à la satisfaction d’enregistrer une progression. Ça rappelle les soirées électorales des 1960s et 1970s où les perdant fanfaronnaient en affirmant qu’ils venaient d’enregistrer leur meilleur score. N’empêche, les journalistes d’Europe 1 sont inquiets. La station vient de changer de statut pour devenir une banale société anonyme et l’on sait que M. Bolloré veut mettre la main dessus pour coupler l’ancienne station de la rue François Ier avec la chaîne d’information Cnews (ex I>télé). Rappelons aussi que ce n’est pas la première fois qu’un investisseur veut constituer un groupe médiatique dont Europe 1 serait la radio amirale. Dans le passé, TF1 voulait faire un groupe « 1 » , Matra-Hachette voulait l’associer à la Cinq qu’il venait de racheter. À chaque fois, on nous a joué le couplet des synergies entre une chaîne de télévision et Europe1, mais pour des raisons diverses, aucun projet n’a fait long feu et l’on peut reprendre la formule assassine en vogue au milieu des 1990s, à savoir qu’il y a une chaîne de télévision généraliste en trop. Cette fois, ça peut s’appliquer à la radio.

Pourtant, nous répétons que l’influence de la radio est sans commune mesure avec son audience réelle. Ce qui fait l’événement, ce sont les déclarations d’un ministre ou d’un opposant dans l’entrevue de la matinale d’une généraliste. Même l’émission politique hebdomadaire, quand il y en a encore une, n’a plus cette influence. Tout au plus, la station qui l’a produit rappelle quelques propos tenus mais les confrères et néanmoins concurrents ne les mentionnent pas. Dans ce domaine, la radio fait jeu égal avec les réseaux sociaux qui n’ont pas leur pareil pour dénicher l’archive fatale, le propos qui tue et qui a été enregistré à l’insu. Les chaînes de télévision sur l’Internet font aussi jeu égal avec les radios locales ou généralistes. La petite télé d’une ville moyenne a maintenant plus d’importance que la station de France Bleu ou la radio associative du coin ; et en plus, il y a l’image et la possibilité d’y reconnaître quelqu’un qu’on connaît.

Le centenaire de la radiodiffusion est, a minima, inaudible, ce qui est un comble pour un média qui n’offre que du son. Les producteurs et animateurs actuels n’en ont que faire. L’histoire, même l’histoire de leur employeur ne les intéresse pas. Notre époque n’aime qu’elle-même et ça se retrouve aussi à la radio. Ils ne voient qu’une chose, ils ne pourront pas faire leurs émissions ce jour-là où l’on entendra des archives qui grésillent et qui font rire les jeunes autant que lorsqu’on leur montre un ordinateur de la taille d’une armoire normande en leur précisant qu’il était moins performant que celui qui se trouve dans leur smartphone ou autant qu’une paire de sabot en bois par rapport à la dernière chaussure d’une marque à la mode. Pour aller plus loin, on peut se demander si ce décalage entre la suffisance, la certitude des professionnels de la radio et la réalité n’est pas un avatar de ce que nous dénoncions par ailleurs, à savoir le décalage entre le monde qui a les faveurs des médias et le monde réel.

 

On relira :

Recul de l'écoute radio

Extension de l'audience : la dure lutte

Audience des radios : comment croire ?

Tour de France(-Inter) : la course contre la montre permanente

Belgitude et service public

 

https://www.ina.fr/video/I00011630/

 

images :

http://www.lesmutins.org/Carbone-14-le-film.html

http://www.schoop.fr/index.php

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