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101e km
19 avril 2024

Notre-Dame 5 ans après

Il y a donc 5 ans, la toiture de Notre-Dame de Paris prenait feu en suscitant une vague d’émotion exceptionnelle. Sur les plateaux de télévisions ou même d’émissions de radio, les invités voyaient les écrans d’information continue et ne pouvaient réprimer des cris de stupeur devant les premières images. L’auditeur aguerri sait reconnaître les émotions que seule la radio peut restituer. On sentait que quelque chose de très grave se passait. Rapidement, M. Stéphane Bern, nouveau défenseur médiatique des chefs-d’œuvres en péril, trouvait les mots adaptés à l’événement : « C’est une forêt qui a brûlé ». Dans les heures, les jours qui ont suivi, les millionnaires de France et même du monde annonçaient leur intention de donner des sommes en rapport avec le sinistre. Le Président de la République, M. Macron, a dû intervenir et a surtout pris l’engagement de réparer les dégâts. Surtout, il a fixé un calendrier jugé à l’époque impossible à tenir : 5 ans, pour que Notre-Dame soit encore plus belle !

 

Inutile de rappeler les étapes que tous ceux qui suivent le dossier connaissent plus ou moins. Ce qui nous paraît plus intéressant à notre niveau, c’est d’étudier l’évolution des mentalités. D’abord, l’émotion a été sans précédent et c’est naturel, dans la mesure où il n’y a pas de précédent. De toute façon, personne en vie n’a connu pareille destruction, même partielle. La destruction a rappelé aussi que la France est un vieux pays et même un très vieux pays et donc, possède un patrimoine en rapport. Notre-Dame de Paris est presque aussi vieille que la France et c’est cela que la plupart d’entre nous a perçu. Un peu de notre passé français partait en fumée. La réaction a été à la mesure. Sur environ 200 pays reconnus ou pas, une bonne centaine n’existait pas en 1900 ou pas depuis longtemps. Leur patrimoine est celui laissé par d’anciennes civilisations, parfois vaincues par les ancêtres de ceux qui président aux destinées actuellement. Peu de pays existent depuis plus de mille ans, plus ou moins dans les frontières actuelles, ou ont perduré sous le même nom malgré les vicissitudes de l’Histoire. La France est de ceux-ci et l’effondrement d’une flèche sur une toiture en flammes donnait l’impression que c’était une partie de la France qui disparaissait dans le feu. Pourtant, dans le même temps, on voyait que des pompiers compétents, limitaient les dégâts et que le chef de l’État assumait son rôle en rassurant sa population. Les pays les plus anciens du monde sont presque tous des monarchies. C’est dans ces circonstances qu’on mesure à quel point notre République est davantage une monarchie élective, et que la population française a besoin d’une figure pour l’incarner ; au contraire du fédéralisme anglo-saxon, par exemple. Parmi les plus vieux États, la pompe républicaine française n’a rien à envier à celle de la royauté anglaise, autre vieux pays.

 

Pourtant, cette prise de conscience n’a pas plu à tout le monde et des jeunes, ainsi que ceux qui prétendent les défendre, ont cru bon de moquer cette France attachée à ses vieilles pierres. On a plutôt eu l’impression que cette frange de la population, habituée à obtenir tout ce qu’elle exige, que ce soit dans le cadre familial (quand il y en a encore un) ou dans l’espace public où l’on pratique depuis longtemps la culture de l’excuse systématique, sentait que quelque chose lui échappait. D’où les propos un peu provocateurs de certains, amplifiés par ce qu’on appelle « les réseaux sociaux ». On avait observé la même réaction, mais plus silencieuse, lors de l’émergence des gilets-jaunes qui rappelaient que des sommes considérables avaient été affectées en pure perte aux populations suburbaines tandis que le reste de la France, notamment rural, était exclu de tout et perdait ses médecins et ses services publics. Cet incendie d’un édifice patrimonial, situé dans la capitale d’un pays aussi centralisé que la France, n’a pas rappelé à la jeune génération que la France n’a pas été construite par leurs parents ni leurs grands-parents ; puisqu’ils ne le savaient pas. Ils l’ont découvert brutalement et ont du mal à l’accepter. C’est sans doute la meilleure preuve de l’échec de notre système scolaire depuis des années : l’incapacité à transmettre une culture, un patrimoine et même une langue. Les expérience pédagogique pratiquées sur des élèves cobayes ne sont pas les seules raisons. Le patronat qui exige des jeunes formés à leurs exigences, en dehors de toute considération humaniste, est au moins autant coupable. L’européisme qui nie les nations contribue également à l’oubli de la culture de chacune des composantes de l’UE. C’est ce que les Européens expriment quand ils méprisent leurs billets de banque qui proposent des dessins neutres d’édifices qui n’existent pas, afin d’effacer de la mémoire collective, l’histoire des nations, sans rien proposer à la place. On a réussi à imposer des pièces de monnaies qui commémorent quelque chose dans chaque pays. Pourquoi ne verrait-on pas des billets représentant, par exemple les jardins du Generalife à Grenade ou même Notre-Dame de Paris, se promener à l’autre bout de l’Europe ?

En même temps qu’une prise de conscience d’histoire et de patrimoine, on a vu resurgir les vieux démons de la France ; et notamment une administration incapable de créer pour s’adapter mais arc-boutée sur des règlements. D’ailleurs, le Président de la République a nommé un général d’armée pour coordonner l’ensemble du projet. On ne pouvait être plus clair. On a rappelé à juste titre les grandes étapes de la constructions de Notre-Dame, en insistant sur la restauration due à Viollet-le-Duc mais, au lieu d’annoncer une nouvelle étape – car un édifice, quel qu’il soit, évolue – on a proclamé qu’il fallait reconstruire à l’identique et appliquer la convention de Venise dont la France est signataire, bien sûr. Autrement dit, pas question d’adapter la reconstruction avec les techniques modernes, d’employer des matériaux composites, légers et encore moins de poser des tuiles photovoltaïques. Pourtant, nombre de bâtiments parmi les plus remarquables et les plus beaux, affichent des styles différents selon la durée des travaux. Soit on voulait profiter de ce qu’on avait appris (par exemple briser l’arc des fenêtres pour plus de portance et de lumière), soit on ne savait plus faire comme on faisait avant. Le Moyen-Âge a duré un millier d’années et la Renaissance puis le monde moderne, quelques siècles encore. On a eu le temps d’apprendre et d’oublier et surtout de perfectionner. Notre époque sait tout faire et invente encore. Il est déplorable qu’on ait choisi d’arrêter le temps à la période de Viollet-le-Duc. Justement, l’Histoire a retenu son nom parce qu’il a restauré un patrimoine qui tombait en ruine mais aussi parce qu’il a pu imposer sa patte. Les fameuses gargouilles, monstrueuses, et l’élégante flèche de Notre-Dame sortent de son imagination. On aura beau poser une stèle sur la cathédrale parisienne reconstruite, avec les noms du général, de son successeur, de l’architecte et de quelques autres, ils n’entreront pas dans l’Histoire. À Vézelay, premier chantier de Viollet-le-Duc, on a posé des arcs boutants à un édifice roman qui n’en possédait, bien évidemment pas. Moyennant quoi, la basilique de la Madeleine tient debout et attire toujours plus de visiteurs. À Lyon, on ne parle plus que de « l’opéra Jean-Nouvel » depuis que cet architecte de renom a repensé et transformé l’édifice qu’il était chargé de restaurer. C’est la population qui, spontanément, a donné son nom à cet élément de leur patrimoine. Bien sûr, ça dépasse les seuls amateurs d’opéra, jamais bien nombreux. Les Chinois ne disent-ils pas que la façade d’une maison appartient aux passants et pas à son propriétaire ?

 

L’obligation de positiver nous fait admirer la reconstruction de la charpente en chênes provenant de forêts de tous les Départements français. L’idée n’est pas mauvaise en soi mais qui le sait ? Bien sûr, la presse régionale n’a pas manqué de montrer les beaux chênes qui allaient être abattus par des bûcherons locaux après avoir été choisi par les cadres du chantier, venus exprès de Paris. Ne nous faisons pas d’illusion. Les lecteurs n’ont pas été davantage impressionnés que par celles de l’élagage annuel sur la place principale de leur chef-lieu ou sur la route nationale. Et puis, M. Bern qui se lamentait sur la forêt qui venait de brûler comme charpente de Notre-Dame pourrait aussi se lamenter qu’une deuxième forêt soit sacrifiée moins de 5 ans après l’autre. Pourtant, on n’a pas éprouvé les mêmes sentiments pour ces chênes qu’on a abattus alors qu’on pouvait faire autrement. On a pourtant rappelé que pour reconstruire les cathédrales de Chartres et de Reims, au siècle dernier, on avait eu recours à l’acier et au béton, sans que personne ne s’en aperçoive. On a écarté l’argument d’un revers de la main. On a préféré filmer les forestiers, fiers d’offrir des arbres de chez eux pour reconstruire Notre-Dame. Notre époque privilégie toujours l’émotion sur la raison. C’est ainsi que la flèche, reconstruite à l’identique, est couverte de plomb, qu’on qualifie, pour couper court à toute critique, de « matériau noble », seul digne de participer à la restauration. Pourtant, depuis des décennies, on enlève le plomb partout où c’est possible. On est parvenu à l’éliminer des peintures et des carburants. Voilà qu’on en remet une couche sur la cathédrale. On a même imaginé un système de récupération des eaux de pluie ruisselant sur la flèche afin de ne pas polluer la Seine. Pourquoi faire simple quand on peut compliquer. Pour faire avaler la pilule plombée, outre la noblesse du matériau, on met en avant les qualité de ce métal et le savoir-faire de ceux qui le manipulent. On a vraiment les meilleurs ouvriers du monde et forcément les plus intelligents ; surtout ceux qui donnent les ordres !

 

Bien sûr, tout le monde se réjouit de la remise en valeur des peintures, du nettoyage des vitraux et des marbres, du sablage de la pierre. On admire la minutie des peintres, travaillant avec des tout petits pinceaux. On se réjouit d’entendre à nouveau les grandes orgues, lorsqu’on aura reposé les tuyaux, nettoyés, et accordé l’instrument. Nul doute que ça donnera lieu à une cérémonie retransmise sur les téléviseurs du monde entier. Ce sera l’apothéose et ne boudons pas le plaisir de cet événement. On éprouvera quand même un pincement au cœur en pensant à tout ce qui aurait pu être réalisé. On préférera ne pas penser aux promesses de dons. Ne doutons pas de leur sincérité mais la question est de savoir comment ils seront utilisés ; s’ils le sont.

 

 

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