Déconfinement pour qui ?
La perspective du deuxième déconfinement (mais on a déjà oublié le premier) ne manque pas de plonger dans un abîme de perplexité. Depuis déjà plusieurs semaines, il n’est plus question que de ça. On en oublie pourquoi l’on est confiné et l’on ne pense qu’au déconfinement annoncé car il semble qu’annonce signifie fait accompli. Pourtant, le Premier Ministre a fixé un calendrier précis où la date du 19 mai devrait marquer le début d’un processus avec une autre étape début juin avant le déconfinement total à la fin du mois prochain. Tout montre que dans les faits, le déconfinement a déjà commencé et que la maréchaussée, fort zélée sur ce chapitre depuis un an, semble avoir reçu pour consigne de laisser tout faire. Alors, les médias nous amusent depuis quelques semaines avec ça et l’on n’entend que des gens qui ont hâte de se rincer la dalle sur une terrasse ou de bâfrer dans un rade qui réchauffe du surgelé. On n’entend que des gens impatients de « se payer une toile ». On ne savait pas les Français aussi cultivés. Ce n’est pas l’impression qu’ils donnent au vu des résultats électoraux depuis 20 ans (pour ne pas remonter trop loin), à quelques exceptions près et oubliées. Cette fois encore, on a l’impression d’un superposition de mondes, parallèles car ils ne se rencontrent jamais. Pour simplifier encore, nous dirons qu’il y a celui dont parlent les médias et la réalité que vivent des millions de Français qui ne s’y reconnaissent jamais mais ont le sentiment que les médias nous mentent et à travers eux, tous ceux qui occupent cet espace médiatique, au premier rang duquel, on trouve le personnel politique.
Donc, en ce moment, il n’est question que de loisirs, que sorties, que de restaurants et des problèmes des restaurateurs : combien pourront-il laisser entrer de clients (car ce sont des clients et pas des bienheureux parvenant à la félicité alimentaire) et comment en accueillir sur leurs terrasses ? Quand ce ne sont pas les restaurants, ce sont les cinémas. On attend la sortie des nouveaux films comme s’il s’agissait d’une distribution de pains au miséreux. On parle un peu des intermittents du spectacle parce qu’ils font parler d’eux en occupant les grands lieux emblématiques des scènes parisiennes. Ce sera oublié quand les Français seront rassasiés de films et ne penseront plus à aux récriminations contre le confinement décidé par le Gouvernement. Au milieu du pont de l’Ascension, les reportages de retours de plages se multiplient, les méridionaux ont poussé sur la Méditerranée tandis que les Parisiens, une fois de plus, ont investi la Bretagne mais cette fois-ci, pas question de les refouler avec des affiches pour les enjoindre de rentrer chez eux avec leurs microbes supposés. On est content de les revoir dépenser leur argent qu’on imagine illimité. D’ailleurs, il doit l’être vu qu’ils n’ont pas pu le dépenser depuis un an ; alors, autant qu’ils le dépensent chez nous en Bretagne ! Coronavirus : l'enfer, c'est les autres ! Coronavirus : premier mois
Foin des masques et des distances entre les personnes : qu’ils viennent payer leurs loisirs et tant pis pour le 4e confinement que certains redoutent pour l’été. Ce sera toujours ça de pris. Ceux qu’on entend le moins font remarquer que les mêmes causes produisant les mêmes effets, le relâchement, la fin du port du masque et des autres mesures de précaution se traduira inévitablement par une nouvelle vague mais on en aura profité un peu.
Il en est d’autres qu’on entend moins, voire pas du tout, ce sont tous ceux qui, confinement ou pas, ne savent pas ou ne savent plus ce qu’est une table de restaurant, la lecture d’un menu, le plaisir de se faire servir. Il n’est pas davantage question de ceux qui ne vont jamais au cinéma, parce qu’il n’y en pas un à proximité et que c’est cher, cher pour y aller (à condition d’être mobile), cher pour entrer, surtout quand on ne sait pas ce qu’on va voir. Depuis longtemps déjà, le public populaire a appris que le film commenté par les critiques n’a que peu de rapport avec ce qu’ils voient dans la mesure où les professionnels ont déjà leur opinion avant la sortie des films et qu’ils s’intéressent davantage aux intentions, telles qu’elles figurent dans les dossiers de presse, qu’au résultat final. C’est cette France qui louait (quand elle en avait les moyens) les VHS, puis les DVD, qui représente en quelque sorte l’élite du monde des exclus, de tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans les médias où on leur demande peu leur avis et encore moins comment ils vivent vraiment. Vu depuis Paris et des grandes villes, la France présente l’aspect uniforme de la diversité et de la culture. Pas étonnant que tout ce qui vient contredire cette présentation flatteuse soit impitoyablement disqualifié.
Les médias n’avaient pas vu venir la révolte des gilets-jaunes et ils se sont empressés de l’oublier puisque elle ne correspond pas aux grilles de lectures qu’ils ont assimilées au cours de leurs études. La France rurale, loin de tout, loin des cinémas, des restaurants et surtout loin des hôpitaux, des maternités et même des médecins de campagne, reçoit peu la visite des journalistes, sauf pour évoquer une tradition pittoresque ou, mieux encore, à l’occasion d’un fait-divers. Qui parle de ces gens, parfois seuls, presque toujours des femmes, qui ne disposent pas d’un véhicule et qui ne sortent pour ainsi dire jamais de leur villages où elles sont assignées, de fait, à résidence ? Qui sait encore, à Paris et dans les grandes villes, qu’il existe plus de 34 000 communes de moins de 5 000 habitants et que c’est ça qu’on appelle un village ? Dans les villes, on trouve aussi ce type de population qui n’est pas forcément éloignée géographiquement des centres d’intérêt cités mais se trouve éloignée socialement et financièrement. C’est la France des familles ou des personnes seules, entassées dans des logements exigus, mal chauffés, parfois payant un loyer sans rapport avec ce qui est proposé mais avec quelques aides (APL) on y arrive quand même, à condition de tirer un trait sur tout le reste. Le reste, c’est justement ce dont les médias parlent le plus souvent. C’est la France des vieux appartements dans les centres des villes qui n’ont pas été réhabilités en vue loger ceux qui vont au cinéma et au restaurant et qui apprécieraient d’habiter à proximité. Dans cette catégorie, encore faut-il ajouter les SDF, au sens juridique et premier du terme, à savoir ceux qui changent de domicile très souvent, faute d’avoir des attaches ou les moyens de payer un loyer régulier. Ce sont tous ceux qui échappent à toute aide sociale car ils ne sont pas suivis, même de loin, par un quelconque travailleur social. Les sans-abris sont encore plus mal lotis, comme on s’en doute ou pas forcément, car le mépris dont ils font l’objet s’explique en partie par l’idée selon laquelle, ils ne paient pas de loyer, pas d’impôt (dans un pays qui abhorre l’impôt) et ne vivent pas si mal dans leur tente. En somme, ils font du camping en pleine ville et sans rien payer. On ne va pas les plaindre…
C'est qu'il y a des degrés dans l'échelle de l'exclusion. Celui qui a encore un travail mais sait qu'il n'est pas pérenne, craint de se retrouver au chômage dans une région sinistrée ou à un âge avancé. Celui qui l'a déjà perdu redoute de ne plus avoir les moyens de se loger et de se soigner, étant entendu que se soigner signifie évidemment soigner aussi ses enfants. Celui qui ne peut déjà plus se soigner et endure des maux à répétition qu'il tente d'atténuer avec du paracétamol (qui n'est pas remboursé et qu'on consomme en quantités alors qu'on n'a plus beaucoup d'argent pour l'essentiel), pense que la prochaine étape sera un nouveau déménagement forcé en attendant de carrément de se retrouver à la rue. Celui qui y est déjà vit avec l'angoisse permanente de ne pas trouver où passer la nuit et de se faire voler le peu qu'il a sauvé.
Oui, il existe un monde, une France pour qui le déconfinement demeure vide de sens, pandémie ou pas.
http://101ekm.canalblog.com/archives/2020/05/31/38335600.html
image : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/un-enfant-sur-six-victime-d-exclusion-sociale_1300794.html