Déconfinement surveillé
C’est pas clair !
On sent, confusément, que quelque chose n’est pas clair dans cette histoire. La polémique autour des masques, de la gestion du début de la crise par le Gouvernement, sont des péripéties. Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement est pris de cours et patauge, donne une impression d’amateurisme. On s’en remettra, même si on retient déjà et surtout cette histoire de masques. On a mégoté sur l’origine du virus et, comme nous le faisions remarquer alors, ça a libéré le racisme anti-chinois, largement répandu dans l’opinion publique. Ça occupe pour ne pas donner envie de gratter et voir s’il n’y a pas autre chose car enfin, dès le début, des voix ont souligné que le nombre de victimes était très inférieur à celui de la grippe saisonnière, sans que, en temps ordinaire, ça mobilise qui que ce soit. Pourquoi tout ce tapage ? Pourquoi, alors que « les caisses sont vides », que la politique macronienne (et celle menée depuis 20 ans) se résume à « il faut faire des économies », qu’on nous bassine avec « la dette que nous allons laisser à nos pauvres enfants », tout d’un coup, on débloque des sommes pharaoniques, on trouve des solutions financières à tout, on fait marcher la planche à billets alors même que les États n’ont plus ce pouvoir depuis 1973 ; ce qui, au passage, explique l’endettement. Des dizaines de milliards pour sauver Renault ou Airfrance alors même que leurs PDG s’honorent de refuser la moindre augmentation de salaires à leurs employés.
Très vite, on a pensé à la « stratégie du choc » mis en lumière par Naomi Klein et d’aucuns pensaient que ce choc serait salutaire car il a montre où est l’essentiel. Confinés, privés de sorties, les Français ont redécouvert la lecture, les discussions familiales (et aussi les disputes jusque là refoulées), l’acquisition de ce qui est vraiment indispensable à une vie, sinon heureuse, du moins apaisée. Ils se sont mis à faire leur pain vu qu’on a parlé de gens sanctionnés pour être descendu chez leurs boulangers. Ils se sont rendu compte que bien des contraintes sociales étaient superflues. Ils ont découvert la valeur du temps. Soudain, on avait le temps de tout faire et plus lentement, sans être soumis à la vitesse et au rendement, sans devoir finir avant qu’une autre activité ou un événement prévu n’impose sa loi. Au bout de quelques jours seulement, on a vu les images des eaux répugnantes de Venise redevenues transparentes comme la mémoire humaine l’avait oublié. Dans l’opinion, même les plus récalcitrants, les plus inconscients ont commencé à réaliser que le plus grand danger pour la planète vient des humains et de leurs activités. Et de rêver… Rêver d’un autre monde, plus lent, plus axé sur le commerce de proximité, sur les fameux circuits courts.
Pourquoi importer ce que, après tout, on a toujours produit près de chez soi ? Le ciel, sans les traînées des avions redevient limpide, les routes, sans ces défilés de camions redeviennent de simples voies de communication. En haut-lieu (et ce qui compte), on semble avoir perçu les dangers de la mondialisation qu’on nous présentait jusqu’alors comme inévitable, heureuse et ouvrant la voie d’un nouveau monde. En fait de mondialisation, on a une simple division internationale du travail telle que mise en œuvre par l’Urss, autrefois, dans ses dépendances. Il suffit d’un pépin dans un pays pour que tout ce qui en vient se trouve à manquer. Or, à cause de sa main d’ œuvre pléthorique et encore bon marché, tout vient de Chine ou presque. La Chine n’est pas seulement l’usine du monde entier mais aussi son laboratoire et, maintenant, sa réserve financière. Certains avaient cru achever de reconquérir les principaux acquis sociaux en mettant en concurrence les mains d’ œuvre bon marché des pays du sud mais on voit qu’une crise sanitaire fragilise les économies. Le développement de la 5 G fait craindre que la dictature chinoise ne mette la main sur les données personnelles du monde entier. Certes, ce n’est pas négligeable mais, jusqu’à présent, ces données, en l’état actuel de la technologie, se trouvent entre des intérêts privés liés aux États-Unis sans que ça pose plus de problème alors qu’on a vu, dans un passé récent, le gouvernement fédéral imposer des sanctions à tous les États et toutes les entreprises qui utilisent un composant en provenance d’un pays que, dans leur encore tout puissance, ils ont mis à l’index. Dans un passé plus lointain, la France (alors plus influente dans la Communauté Européenne) a pris un retard considérable dans la technologie des écrans plats, développée au Japon, en avançant que le mode de vie oriental était moins compatible que celui d’origine américaine. La crise sanitaire a fait monter d’un cran la tension entre les États-Unis et la Chine, deux superpuissances dont nous dépendons. En Afrique, on dit que quand deux éléphants se battent, ce sont les termites qui sont écrasées.
Sur les réseaux sociaux, dans les nombreuses émissions interactives (comme « Le Téléphone sonne »), c’est l’expression de l’incompréhension qui domine. Pourquoi est-ce plus dangereux de poser sa serviette sur la plage et de s’asseoir dessus que de marcher sans s’arrêter ? Pourquoi consommer des boissons sur les quais du canal à Paris est-il qualifié « d’irresponsable » et réprimé quand on ne trouve rien à redire sur les foules qui s’agglutinent sur les quais du métro parisien et des gares des TER partout ailleurs ? Des patrouilles à cheval (il y en a donc), à vélo, à pieds, des drones, des hélicoptères même (quand on sait le coût d’une heure d’hélico) sont mobilisés pour qu’on n’aille pas se promener en forêt, sur les bords de mer ou de lacs ou dans la campagne alors qu’on peut tout à fait se rendre dans les centres commerciaux en famille.
Ça a commencé avec la fermeture des marchés de plein-air alors que les supermarchés sous hangars restaient ouverts. De toute évidence, le confinement choisit ses cibles et ce n’est certainement dû à l’incompétence ou à la précipitation. Peut-être était-ce le cas au début – et encore – mais à partir du moment où l’on persiste, c’est bien qu’il y a une finalité. On remarque que les secteurs aidés sont les grosses boites (Renault, Airfrance, la grande distribution etc.) quand le petit commerce pâtit du confinement et, surtout, tout le secteur marchand relevant des loisirs. On a remarqué aussi que les bureaux de tabac restent ouverts. Est-ce seulement parce que beaucoup vendent des timbres et des timbres amende ? En revanche, les cafés du coin, les restaurants, les cinémas sont fermés alors que les professionnels ont proposé de limiter les entrées pour maintenir les distances. Le Gouvernement se montre inflexible.
À peine le confinement décidé que le patronat réclamait la suspension des normes environnementales (pour relancer la production et espérer la consommation) et ce que patron veut, Dieu veut. On apprend incidemment que le dernier train de nuit alpin est suspendu. Sncf cherchait à le supprimer par tous les moyens. Finalement, la covid 19 en aura raison.
À peine le déconfinement décidé que Renault, dont il a beaucoup été question au cours des dernières semaines annonce un plan assez flou concernant sa stratégie mais précis concernant les licenciements. Airfrance, privé de quelques vols intérieurs (une paille en fait), devrait suivre. De toute façon, il restera Paris-Nice, longtemps la ligne la plus chère du monde mais qui, du temps du service public, compensait les lignes intérieures ultra déficitaires.
Au moment de conclure ces lignes, le Premier Ministre a annoncé le déconfinement général mais sous surveillance. Ça ne pouvait plus tenir et il a fallu lâcher du lest, juste ce qu’il faut pour avoir la paix sociale : permettre de se ruer pour consommer de l’inutile et reprendre la route. On notera encore que la fameuse carte de France ne tient toujours pas compte de la situation réelle et donc locale mais des grandes régions ; avec ce que ça signifie en termes de disparités, surtout quand on touche à un domaine aussi sensible que la santé. Néanmoins, il a été décidé que toutes les Régions passeraient au vert et donc, c’est toute la France qui est coloriée en vert même si, ici ou là, des foyers infectés subsistent. Nul doute que la décision a été mûrement réfléchie et que, au moment où la popularité du Président de la République est en baisse, il a fallu prendre en compte l’opinion publique. Or, ce malaise perceptible partout, cette mise en cause de la compétence des autorités, la condamnation de la gestion des masques, ce sentiment confus qu’on nous cache quelque chose, appuyé par une répression policière aussi absurde qu’impitoyable, devenaient insupportables pour l’exécutif. Néanmoins, le mal est fait. De toute évidence, tout ce qui détient un tant soit peu de pouvoir en a profité pour le renforcer. Le patronat, goûte les joies d’un salaire pris en charge partiellement par l’État ainsi qu’une suspension – qu’il espère, sinon définitive, du moins prolongée – des cotisations sociales. Il a imposé le télétravail qui, s’il ne permet plus de surveiller qu’on est bien à son poste et qu’on ne va pas trop souvent aux toilettes, permet de réaliser de substantielles économies d’énergie et met fin à l’absentéisme. Les maires se sont rappelé leur pouvoir de police et ont imposé leurs desiderata. Les préfets ont fait la pluie et le beau temps, appliquant à leur guise les mesures gouvernementales. La maréchaussée a fait preuve d’un zèle inouï pour traquer les quidams d’autant plus que l’application des règles est soumise à l’appréciation des militaires et des fonctionnaires. Les médias nous ont diffusé des reportages montrant des pandores plutôt compréhensifs et préférant informer plutôt que verbaliser. Au quotidien, nous connaissons tous quelqu’un qui a été verbalisé, disons, abusivement. Ce pouvoir « d’appréciation » laissé aux forces de l’ordre (police nationale, gendarmerie, polices municipales) est la porte ouverte à tous les abus et ils sont déjà nombreux. Des vidéos circulent qui montrent leur zèle démesuré contre des promeneurs, des peccadilles, avec, comme toujours, l’appel à des renforts musclés dès que 10 personnes s’insurgent contre l’arbitraire d’une verbalisation abusive, comme ça s’est passé dernièrement à Aubenas où une femme a été traînée à terre par la police pour avoir défendu un citoyen verbalisé pour non port d’un masque sur la place publique. De toute évidence, il faut faire peur et induire durablement un sentiment de peur dans la société française. Ces dernières années – hors attentats bien sûr – on a assisté à une gradation dans la répression. Les lois d’exception pérennisées par les législateurs ont permis de réprimer les manifestations d’associations luttant contre des dysfonctionnements de la société et notamment les causes animales et environnementales. Le mouvement des « Nuits debout » a été réprimé avec une violence inattendue qui a servi de répétition contre les gilets-jaunes. Désormais, il ne suffit plus d’éviter les rassemblements pour éviter les coups, sortir de chez soi, apparaître à la fenêtre ou y apposer une banderole encourent le risque d’être amendé ou conduit au poste. Or, très vite, le sentiment de peur s’est développé et la peur favorise la délation. J’ai peur d’avoir des ennuis, alors je les attire sur les autres. Je fais ainsi d’une pierre deux coups. Pendant que les autorités s’intéressent aux autres, j’ai la paix et je passe pour un citoyen exemplaire, donc espérant être à l’abri. Également, la peur provoque le comportement de razzia : je prends le papier hygiénique puis le sucre, puis la farine, de peur que les autres ne les prennent avant et que j’en manque. La peur du chômage ne suffit plus. On l’a vu avec la longue crise des gilets-jaunes. Depuis le temps qu’on cherchait un autre épouvantail, voici que cette crise sanitaire tombe à pic pour raviver la répression avec, qui plus est, l’approbation. Rien de tel qu’une peur qui touche ce qu’il y a de plus sensible, à savoir l’intégrité de la personne. On ne pouvait pas prolonger le confinement indéfiniment mais il a servi de répétition générale et grandeur nature. On a pu expérimenter des dispositifs qui seront plus faciles à remettre en place au moindre frémissement. La réforme du baccalauréat, si elle est bien suspendue dans son esprit, va néanmoins être appliquée sur l’essentiel, à savoir la suppression de nombreuses épreuves qui demandaient le déplacement et la présence en salles d’examens avec ce que ça comporte de surveillance et de corrections par un simple contrôle continu, beaucoup moins onéreux. Et c’était bien le but recherché. Tout ce qui a été expérimenté pendant le confinement et largement approuvé, pourra être remis en vigueur. Maintenant, on sait comment s’y prendre. Comme d’habitude, des mesures d’exception prises à un moment donné pour régler un problème précis seront entérinées et deviendront la règle générale. Or, tant que nous sommes sous régime de déconfinement surveillé, les manifestations sont interdites. Par conséquent, rien à craindre de ce côté-là. Sur les réseaux sociaux, la nouvelle loi Avia sur « les propos inacceptables » pourra s’appliquer à toute opinion jugée dangereuse pour le pouvoir. Dernièrement, la chanteuse Camila Jordana a montré ce qui risque de se passer à l’avenir. Ses propos jugés « inacceptables » par le Ministre de l’Intérieur font l’objet de plusieurs plaintes. Et d’alimenter le sentiment qu’on ne peut rien dire ni rien faire.
L’expression « le monde d’après (ou de demain) » ne date pas de la crise de la covid 19. il était déjà largement employé depuis plusieurs mois par ceux qui promettaient un changement radical et, surtout, qui enjoignaient d’oublier tout ce qui est lié à ce qu’ils appellent « le monde d’avant » et notamment ce qui faisait la qualité de la vie. Cette crise provoque le choc indispensable pour faire oublier et faire renoncer au meilleur afin qu’il y ait un avant et un après. Pendant les premiers jours du déconfinement, on imaginait que le fameux monde d’après serait recentré sur l’essentiel, les dépenses vitales, des loisirs simples, la sobriété, les relations humaines qui faisaient tant défaut, qu’on continuerait à entendre chanter les oiseaux en ville et observer le fond de l’eau de nos rivières et de nos lacs. On mesurait toute la tromperie organisée par la société de consommation. Est-ce que le monde d’après sera moins dépendant de la mondialisation ? On peut en douter quand on voit qu’on aide Renault qui fournit assez le marché intérieur mais qui a besoin vital d’exporter. On peut en douter quand on voit qu’on aide Airfrance qui a besoin de remplir ses avions pour vivre. Or, depuis plusieurs mois, on voit que l’opinion publique se détourne du transport aérien, qui d’ailleurs contribue peu à la pollution et en tout cas, sans comparaison avec les cargos pourris qui assurent l’essentiel de la navigation de marchandises et même des paquebots flambant neufs qui sont des catastrophes écologiques ambulantes. On commence aussi à se poser des questions sur la fuite en avant que constitue la course aux exportations. Est-ce que, finalement, on ne pourrait pas se contenter des voitures produites en France tout en poussant les constructeurs à acquérir les meilleures technologies étrangères ? Bien sûr, la réciproque va de soi. Du côté des décideurs, on a mesuré les dangers de la dépendance à des pays, surtout quand on peut produire (presque tout) sur place. Oui mais ça coûte plus cher car quand on a goûté à l’amélioration du niveau de vie grâce au travail fourni pendant les années d’expansion, on ne va pas se contenter d’un bol de riz ou d’un coup de chicotte pour les récalcitrants. Il faudra cracher au bassinet. Hors de question ! On a surtout l’impression que tout est fait pour que ceux qui profitent du monde d’avant continuent et l’on cherche surtout à adapter les populations à leurs desiderata tandis que, au nom du « nouveau monde », on cherche à abroger la protection sociale, la protection environnementale, la protection sanitaire, même. Et pour ceux qui s’en plaindraient, il y a une législation dont l’application est confiée à l’appréciation des préfets et de leurs exécutants. Le régime répressif mis en place durant le confinement pourra être appliqué en d’autres circonstances.
Finalement, est-ce que le monde d’après n’a pas commencé avec le référendum européen de mai 2005 et le formidable déni de démocratie qui a suivi, prélude à tout ce qui s’est passé depuis et accentué par la crise sanitaire actuelle. En fait, le monde d’après, se résume à l’injonction de ne sortir que pour aller consommer, pour aller travailler, pour se former. Le reste est inutile : restez chez vous !
Pour terminer, une citation d’Hannah Arendt : « La dictature est limitée dans le temps, la tyrannie ne l’est pas. »