Pourquoi des radios libres ?
Il va être beaucoup question de radios dites de service public cet été sur http://101ekm.canalblog.com/. Des occasions nous sont données et, avant un prochain gros morceau revenons sur ce qu’on a appelé « les radios libres » après la rediffusion de l’excellente émission de M. Fabrice Drouelle « Affaires sensibles ». Comme nous l’indiquions précédemment, il a enfoncé le clou sur l’air de « la voix de son maître », à propos du monopole de l’ORTF et de l’expression du Pdt Pompidou sur « la voix de la France ».
Pourquoi des radios de services public ?
Celui-ci n’en appelait nullement à faire des médias pour faire l’éloge de la politique du Gouvernement. Il avait dit, dans le même propos, que ce serait tout à fait contre-productif dans la mesure où ça ennuierait le public. « La voix de la France » était un appel à faire une télévision et un radio d’une certaine tenue et d’une « hauteur de ton et de pensée ».
https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-07-aout-2020
M. Drouelle, s’il produit une excellente émission n’en est pas moins un vecteur des idées reçues. Quoi qu’il en soit, son thème des « radios libres » nous a interpelé dans la mesure où nous appartenons à la génération qui a écouté avec curiosité, parfois avec intérêt, les premières radios libres. Certains d’entre nous y ont participé. En moins d’une heure, il ne pouvait être question de faire le tour de la question mais le sujet, tout comme les sujets sur les médias dépassent largement le cadre de la seule diffusion et de l’auditoire. Avec l’invité, M. Bourseiller, qu’on entend sur Inter depuis quelques années et notamment dans la grille d’été (quand part-il en vacances?), les deux compères concluent à la sincérité des pionniers et de citer MM. Meyer (RFM) et Baudecroux (NRJ). D’abord, soulignons que les deux n’ont absolument rien à voir. M. Patrick Meyer était un vrai professionnel de la radio qui avait été évincé de Radio7, radio pour jeunes du groupe Radio-France, après avoir invité Coluche, un temps candidat à la candidature à la Présidentielle de 1981. On a du mal à imaginer comment le pouvoir giscardien, dans les dernières années, pouvait être répressif et se dotait d’un arsenal législatif à cet effet. Lorsqu’on parle, aujourd’hui de « violences policières », on a oublié les années 1977-1981 avec notamment la loi « Sécurité et Liberté » de Peyrefite qui légitimait tous les abus de pouvoir. De sorte que ça pétait un peu partout, un peu comme maintenant, d’ailleurs. À l’époque, la droite au pouvoir politique et au pouvoir économique redoutait la fin du monopole d’État sur la radio et la télévision et l’éclatement de l’ORTF, à l’été 1974, avait pour but de le renforcer en le dotant de moyens plus adaptés. Les ondes diffusaient la bonne parole avec, de temps en temps, la parole donnée à l’opposition. Chirac, à l’époque chef du RPR pestait contre le monopole dans la mesure où il ne le contrôlait plus complètement. La fin du monopole, pour lui, signifiait céder les radios et les télévisions à des groupes qui lui étaient favorables. Son échec de 1981 lui a fait rejoindre les rangs de l’opposition au monopole, désormais entre les mains des socialistes. Or, les radios libres lui échappaient. Ici et là, quelques radios locales, comme à Versailles, étaient subventionnées par des municipalités RPR mais ça demeurait insuffisant pour ses ambitions nationales. Les radios, dont M. Bourseiller a rappelé l’extrême amateurisme, ont submergé la bande FM et laissé peu de place à l’opposition de droite qui avait pourtant compris qu’elle gagnerait les élections en encourageant le mécontentement du public envers les programmes de télévision qui se voulaient intelligents ou, au minimum, moins abrutissants et plus créatifs. Ce n’était pas ce que voulaient les téléspectateurs mais c’est un autre débat. À l’époque, on parlait de « droite revancharde » pour qualifier l’opposition qui n’avait pas digéré sa défaite, persuadée que l’État lui appartenait et que la France était sa chose ou l’inverse, peu importe.
L’émission de M. Drouelle a rappelé que le gouvernement socialiste a eu le mérite de fixer un cadre législatif tout aussitôt étroit pour la demande. On a oublié que sur Paris et sa région, il y avait souvent 2 stations sur la même fréquence et, au cours de la soirée, on entendait l’une puis l’autre et ainsi de suite, forçant l’auditeur à aller écouter ailleurs ou à déplacer son poste ou son antenne. À l’heure du numérique et du RDS, ça paraît incompréhensible. En clair (si l’on peut dire), il y avait trop de radios alors que la bande FM, même en utilisant les fréquences de l’armée, était finie quand les demandes étaient infinies. Le Gouvernement a donc décidé de marier de force des stations et, de fait, c’était le début de la fin. Nous étions en 1984 quand NRJ a été condamnée pour son émetteur trop puissant qui écrasait tout. NRJ était écoutée par les jeunes qui croyaient mener là un combat à l’égal de celui de la Résistance à l’occupant. M. Bourseiller a rappelé que des dizaines de milliers de jeunes sont descendus dans la rue pour réclamer le droit d’écouter NRJ qui était déjà plus ou moins comme aujourd’hui : un robinet à variétés en anglais. Quand on pense qu’aujourd’hui, les organisateurs peinent à réunir quelques milliers de manifestants pour défendre les retraites, les salaires, l’emploi, la santé, qui concernent tout le monde, ça laisse songeur. Les manifestants potentiels d’aujourd’hui, sont les enfants de ceux-là. Bien sûr, la droite a soutenu la manifestation sur l’air du monopole d’État qui caractérisait une soviétisation rampante. La liberté était menacée !
Le Gouvernement a capitulé et, dans la foulée, permis la diffusion de publicité sur ces radios libres, devenues « radios locales privées » sous statut associatif. Or, comme le rappelait M. Bourseiller, le bénévolat, ça va bien un temps mais il faut vivre et, si possible vivre de sa passion ; en l’occurrence, la radio. Dès lors, le ménage s’est fait naturellement. Les annonceurs (comme on dit pudiquement), ont choisi leurs stations et notamment celles qui avaient déjà le plus d’audience et, surtout, qui ne risquaient pas de faire de tort aux produits dont elles passaient les publicités. Dans ce choix, les radios aidées par le RPR ont pu survivre quand leur audience les auraient laissé sur le carreau. Nous étions donc en 1984, soit deux avant les élections. Très rapidement des radios comme NRJ ont été cotées en bourse. Les choses se clarifiaient. Au point que Michel Jobert, débarqué une nouvelle fois du Gouvernement, avait retrouvé son franc parler et pouvait conclure que ce n’était plus « radio libre » mais « radio pognon ». Si nous passons du temps à rappeler ces faits, c’est parce que, à l’image de l’émission de M. Drouelle, l’histoire des radios libres est aujourd’hui contée comme une grande aventure avec tout le lyrisme possible pour en faire un roman. On a rappelé qu’à la base, il y avait le mouvement associatif, fédéré par le mouvement écologiste naissant – avec M. Brice Lalonde notamment – et par la CGT (Radio Lorraine Cœur d’Acier) mais que l’essentiel consistait à briser le monopole État. Ce monopole, le plus visible de tous, une fois tombé, le reste serait à l’avenant et c’est bien ça qui nous intéresse ici. La droite revenue au pouvoir n’a eu de cesse de détruire ce qu’avaient fait les socialistes et placé les leurs à la tête des fleurons industriels dénationalisés. Rappelons que les fameux « noyaux durs » inventés par la chiraquie au pouvoir n’avaient d’autre but, sous couvert du noble souci de garantir la souveraineté sur les grandes entreprises françaises, que de replacer les siens au pouvoir car, si l’on n’est plus à l’abri d’une défaite électorale, il en est autrement dans les conseils d’administration où l’on ne compte que des amis. Le gros Barre, qui ambitionnait un temps de devenir Président, a fini par convaincre, au nom de la sacro-sainte concurrence, qu’il ne fallait plus de noyaux durs. Par conséquent, les actions ont été revendues au plus offrant et, de fil en aiguille, ce qui faisait la force de l’économie française s’est retrouvé éparpillé ou racheté par des intérêts étrangers. Aux dernières nouvelles, on en est encore là.
Mémoire d'auditeur : la bourse
Il existe bien quelques radios libres ici ou là. Elles ont une portée limitée (la loi est stricte pour elles quand elle s’accommode de transgressions pour les autres) et une audience confidentielle. Néanmoins, elles permettent aux sans-voix de se faire entendre puisque leurs communiqués de presse ne sont jamais publiés par la PQR (presse quotidienne régionale). Les autres diffusent des publicités avec toujours des variétés en anglais, malgré les quotas de chanson en français mais l’on sait bien qu’il serait vain de vouloir leur faire respecter la loi, surtout à une époque où tout ce qui vient de l’État est honni (sauf quand il distribue des allocations et des subventions qui semblent naturelles) et où il suffit de saisir la juridiction européenne pour obtenir gain de cause contre les lois votées par les représentants des citoyens. Des gens comme M. Meyer ont été débarqués depuis longtemps et avec lui la « radio couleur » avec ses « flashes couleurs » fournis par l’AFP audio, créée à cet effet pour fournir l’information aux nouvelles radios.
La droite au pouvoir a donc défait ce que les socialistes avaient fait. Entre autre, ils ont dissout la Haute Autorité de l’Audiovisuel, chambre destinée à réguler les médias en pleine expansion mais en cassant le lien avec le ministère en charge de la communication. Le motif était que ses membres étant nommés à part égales (3) par l’Assemblée Nationale, le Sénat et le Président de la République, il y avait donc un avantage à la gauche pendant la durée de leur mandat. En conséquence, elle a créé un CNCL pour « Commission Nationale de la Communication et autre chose » comme disait Mitterrand. Cette commission était intégralement composée de 13 personnalités de droite à l’exception de deux membres nommés par le PR. C’était plus équitable comme on le voit. Furieuse de s’être laissée distancée dans la privatisation des ondes, la CNCL, a aussitôt remis en cause les privatisations menées par la gauche. Elle n’a pas trop touché à Canal+ mais TV6 a dû fermer pour offrir sa fréquence au groupe CLT (RTL) récemment cédé par l’État et, surtout, la 5. La 5 faisait l’objet de toutes les critiques. La gauche trouvait ses programmes bêtifiants tandis que la droite hurlait contre le pouvoir socialiste qui plaçait ses amis politiques, en l’occurrence, l’italien Berlusconi. Comme socialiste, on a fait mieux mais c’était ce que proclamait la droite et elle se faisait entendre. Par conséquent, la chiraquie a remplacé son partenaire français, M. Seydoux par un de ses plus efficaces serviteurs en la personne de Robert Hersant qui, à coup de pognon, a débauché les vedettes des concurrents en espérant s’imposer. La droite ne critiquait pas la qualité des programmes mais était furieuse de ce coup de Mitterrand qui avait lancé des chaînes de TV privées avant son retour au pouvoir. On connaît la suite et, si ça n’a pas été déterminant dans la nouvelle défaite de Chirac à la présidentielle de 1988, elle y a contribué car ça montrait (la télévision est visible partout et a le don d’ubiquité) l’incompétence de la droite aux affaires. Les socialistes revenus aux affaires ont mis fin aux « noyaux durs » réclamés par la droite libéraliste. Rappelons aussi que la gauche avait abandonné la participation de l’État dans le capital d’Europe 1à son principal actionnaire, le groupe Lagardère. Profitons-en pour signaler que l’article Tempête sur Europe 1 publié en mars 2018 caracole en tête des visites depuis plusieurs mois et ne s’est jamais trouvé en dessous des 10 premiers depuis sa publication.
Nous retiendrons de cette histoire des radios libres que là où des lois répressives, un cadre juridique, la brutalité des forces de l’ordre qui saisissaient le matériel et arrêtaient les amateurs, les inquiétudes du PDG de TDF restaient inefficaces, la loi de l’argent et du profit a réglé le problème en quelques mois et définitivement et, surtout, avec l’approbation du public. Dura lex, sed lex.