Pourquoi des radios de services public ?
La période estivale peut être l’occasion d’affiner la critique des médias ou, au moins, de lancer des pistes de réflexion. Au moment où Mme Ernott a été reconduite à la tête de France Télévision afin de poursuivre son travail, notamment en supprimant deux chaînes, on peut se demander pour quelle raison maintenir des médias dans le giron de l’État. Nous complétons ici l’échange entamé à l’occasion du bilan de la saison
Nous usons et abusons ici de l’expression « radio de service public » qu’on entend à l’envi sur Inter, dès qu’il y a la moindre suspicion de remise en cause. Comme pour dire, nous ne faisons pas le même métier que les autres et sous-entendre que nous sommes meilleurs. Or, nous constatons que la différence s’est amenuisée entre les stations de radio généralistes et c’est particulièrement visible depuis qu’on entend des publicités de marques à l’antenne sans que cela ait soulevé le moindre tollé de la part des auditeurs qu’on a connus plus vindicatifs dans le passé quand ils ne supportaient pas certains messages. Or, la presse ne s’en est jamais fait l’écho. Il y a donc acceptation plutôt que résignation et Mme Devilers, spécialiste des médias sur la chaîne, en a parlé comme d’un retard enfin rattrapé. Comme si la présence de publicités de marques participait du progrès ou de la norme. Par conséquent, les auditeurs qui demeurent contre vents et marées, fidèles à Inter principalement parce qu’il n’y a pas de publicité, se retrouvent Gros-Jean comme devant.
Sur un réseau social bien connu (qui censure ce blog), une ancienne journaliste déplore : « De toutes façons les médias font depuis longtemps de la mono actu... avant et pendant les vacances, sujets vacances. Avant et pendant la rentrée, sujets rentrée. En hiver, sujets froid et neige. En été, sujets chaleur. Au printemps, sujets pluies. Pendant coronavirus, sujets virus etc etc etc.... ». En d’autres termes, il n’y a plus de différence tant la norme s’est imposée. Ça s’appelle « la pensée unique ». D’après les sondages, il semble qu’Inter soit en tête des audiences comme confirmé en cette fin juillet. Sans doute, les auditeurs choisissent une radio qui fait moins dans la sensationnel et la gaudriole mais, à l’occasion, on constate que cette différence est fragile comme on l’a vu lors de l’annonce de la (fausse) arrestation de Dupont de Ligonnès ; comme si c’était ce que les Français attendaient avec le plus d’impatience dans la mesure où ils n’auraient pas d’autre préoccupation. Pourquoi faire un service public de la radio et de la télévision si c’est pour reproduire la même chose que les autres ? Inter présente, néanmoins, quelques similitudes avec les services publics dans la mesure où, le personnel, oublie qu’il est payé pour rendre un service au public et pas seulement pour lui assurer un salaire ou, dans le cas des radios et télévisions, pour se faire plaisir en recevant des personnalités.
Il y a quelques années encore, les journalistes des médias dits de service public aimaient citer ces propos du Président Pompidou pour s’en démarquer aussitôt. Comme il apparaît évident que tous les journalistes des médias audiovisuels ont bu le même lait, on peut penser qu’ils ont tous visionné, en école de journalisme, la vidéo de la conférence de presse de juillet 1970 du Président Pompidou, pour aussitôt s’y opposer et s’en gausser. « Il y avait un ministre de l’information. On disait que c’était un dictateur et qu’il imposait aux journalistes de la télévision des règles et une tutelle inadmissibles. Le Premier Ministre a jugé utile de supprimer ce Ministre de l’Information. (…) En tout cas, nous n’avons jamais trouvé en France, parfaitement, l’équilibre de l’information. C’est peut-être dû au Gouvernement. C’est peut-être dû aussi aux journalistes. Pour moi, je vous dirai que je considère que l’information, sous toutes ses formes, à l’ORTF, doit être libre, doit être indépendante, doit être impartiale. (…) Être journaliste à l’ORTF, ça n’est pas la même chose que d’être journaliste ailleurs. L’ORTF, qu’on le veuille ou non, c’est la voix de la France. C’est considéré comme tel à l’étranger et c’est considéré comme tel par le public qui, quand on lui dit quelque chose (…) répond : ils l’ont dit à la télé (bis). Et, par conséquent, ceux qui parlent à la télévision ou à France Inter (…), il y a une certaine hauteur de ton qui est la chose que, pour ma part, je leur demande. »
Comme beaucoup de citations du passé, celle-ci fait l’objet de commentaires anachroniques ou, surtout, biaisés. En l’occurrence, le Pdt Pompidou ne réclamait ni le lien avec le pouvoir ni la servilité : « Je ne vous demande pas de faire l’éloge du Gouvernement. Je ne vous demande pas de faire parler à tout propos les ministres. Il n’y a d’ailleurs – je le sais bien – rien de plus ennuyeux pour les téléspectateurs. Ce que je vous demande, c’est de vous rappeler que quand vous parlez, vous ne parlez pas qu’en votre nom et, que vous le vouliez ou non, vous engagez la France. Il y a une certaine hauteur de ton et de pensée qui vous est réclamée. C’est très difficile. C’est plus difficile que d’être ailleurs. Je le reconnais. ». On a oublié cette fin de citation qui est pourtant la plus importante dans la mesure où elle définit les droits et devoirs de journalistes qui prétendent accomplir une mission de service public. Seulement, comme c’est plus exigeant, on fait semblant, depuis 50 ans, de croire que le Président de la République demandait aux journalistes de l’ORTF d’en faire une sorte d’organe officiel du Gouvernement à l’instar de la Pravda en URSS. Le verbatim qu’on peut retrouver facilement sur la toile est formel. Le Président Pompidou a insisté – et sur quel ton – à deux reprise sur la nécessaire « hauteur de ton et de pensée ». Cela fait écho à un souhait exprimé, bien avant, par Boris Vian qui osait espérer qui si un jour, il y avait une radio d’État, elle ne devrait pas passer de chansons qui contiennent des fautes de français. Pour le coup, la citation, est introuvable sur la toile car ça ne correspond pas à l’idée qu’on se fait du personnage.
Or, précisément, de nos jours, les journalistes d’Inter mettent un point d’honneur à ne pas respecter les recommandations gouvernementales ou émanant d’institutions. Nous avons déjà pointé le fait qu’aucun ne dit jamais « la » covid 19 pour bien signifier leur indépendance. En revanche, le mot « province » a été banni rapidement au profit du très européiste « régions ». La marque de fabrique de la station dite de service public semble plutôt tenir dans les erreurs et fautes de français, l’uniformité et surtout l’inculture, le tout appuyé avec quelle suffisance ! Le directeur qui a imposé le règne de la parlote permanente sur Inter et fait prendre le pli d’un parisianisme exacerbé, Pierre Bouteiller, était encore préoccupé par la correction de l’expression. C’est sans doute pour cela qu’il conseillait d’écrire tout ce qui sera dit à l’antenne. On en est plus là depuis quelques années déjà et, aujourd’hui, lorsque qu’un animateur ou, plus souvent, une animatrice, se rend compte d’une faute, elle lance aussitôt : « Je vais encore recevoir du courrier » ; sous-entendu, je m’en fiche mais ça va encombrer ma boite aux lettres. Signe que les auditeurs sont agacés par la baisse du niveau d’expression qui trahit une baisse du niveau culturel que la promotion des événements parisiens ne dissimule pas. On ne peut pas prétendre s’adresser à un public cultivé et exigeant tout en usant d’un langage approximatif. Inter fonctionne un peu comme la Mairie de Paris (naturellement) où Mme Hidalgo, forte de son élection (avec 18 % du corps électoral), se prétend légitime pour imposer ses choix ; en toute indépendance, bien entendu. Il serait intéressant de chercher les similitudes entre son électorat et les auditeurs d’Inter.
Qu’est ce qui fait encore la différence quand la publicité est partout et qu’elle propage la pensée unique ? On a vu, récemment, comment les rédactions des radios et des télévisions dites de services public se sont acharnées contre le professeur Raoult, allant jusqu’à promouvoir un traitement à base de nicotine tout en qualifiant celui pratiqué par l’infectiologue marseillais de « potion »de « druide » et en niant ses résultats. Les humoristes d’Inter toujours prompts à nous signifier ce qu’il est convenable de penser, se sont déchaînés. Observons que, de nos jours, les humoristes, qui ont un avis sur tout, sont davantage écoutés que les experts ; ce qui paraît pour le moins paradoxal quand on se prétend éduqué et cultivé. Dans un passé pas si lointain, les mêmes rédactions, appuyées par les humoristes maison du moment, s’étaient engagées en faveur du oui au référendum de 2005. Que dire de la manière dont elles traitent les candidats à la présidence de la République qui n’ont pas leur faveur ni comment elles ont obtenu du CSA le droit, à l’avenir, de ne pas traiter tous les candidats sur un même pied d’égalité ! Oh, déjà, ils contournaient aisément la règle en évoquant ce qu’elles appellent « les petits candidats » à des heures où l’audience est plus faible. Si on les avait écoutées, on aurait eu comme Présidents de la République Rocard, Balladur, Jospin, Royal.
Qu’est-ce qui fait encore la différence quand, depuis plusieurs années maintenant, chaque été voit le débauchage de journalistes et d’animateurs qui passent d’une radio à un autre ? Leurs qualités ne sont pas en cause bien sûr mais la facilité avec laquelle ils passent de l’une à l’autre montre bien que la différence s’estompe. Pourtant, il existe encore un public qui espère trouver – à défaut de réclamer –une certaine qualité dans les propos et les émissions ; ce que le Pdt Pompidou appelait « une certaine hauteur de ton et de pensée ».
À ce stade, la question du maintien d’un service public de l’audiovisuel se pose. Les rédactions, les animateurs sont bien indépendants du pouvoir mais, l’auto-censure règne. Aucun ne va prendre le risque de déplaire à un responsable en vogue qui risque de s’en rappeler lorsqu’il occupera certaines fonctions. C’est valable pour les rédactions nationales (appelées à fusionner pour faire des économies) et les régionales de France 3 et de France Bleu. On sait très bien ce qu’il vaut mieux taire si l’on ne veut pas se voir barré l’accès à certains lieux. De même, on a dû accompagner l’arrivée de la publicité de marques sur Inter de certaines recommandations, au moins de manière implicite. Difficile, alors que le déconfinement a vu un déferlement de publicités pour les voitures et leurs assurances ou organismes de crédit, d’en appeler à un monde d’après avec moins de voitures. Inter a vite adopté une neutralité bienveillante envers le système, à l’instar des autres radios généralistes qui vivent de la publicité. De sorte que, maintenant que la publicité de marques s’est imposée sur la radio de service public, sans que ça provoque la moindre réaction, ni des salariés, ni des auditeurs, il n’y a plus de différence notable entre les radios généralistes. Pourtant, demeure la force des habitudes qui fait qu’on reste fidèle à une station plutôt qu’une autre mais les auditeurs vieillissent et avec les nombreuses applications qui permettent de suivre l’actualité, les radios généralistes vivent probablement leurs dernières années. Pour le moment, leurs noms sont encore connus grâce à l’entrevue politique du matin reprise par les autres mais on s’achemine vers un couplage avec des chaînes de télévision.
Si nous demeurons attachés au maintien d’un pôle de médias financé par l’impôt et la redevance, c’est d’abord dans l’espoir d’un véritable changement qui fasse de ce pôle une référence mais ça ne correspond pas encore à la demande d’un public habitué à la publicité et façonné par la pensée unique. Surtout, l’expérience des privatisations montre qu’il s’agit d’une braderie qui attire des intérêts privés qui ont vite fait d’exercer un monopole et d’en tirer de juteux profits sans avoir pris de risques dans la mesure où la clientèle est là et où le patrimoine foncier constitue une réserve non négligeable. Il y en a assez de voir partir les fleurons industriels et autres, constitués ou renfloués par des politiques ambitieuses et par l’impôt, enrichir des gros actionnaires qui les revendront au plus offrant à la première occasion. Ce qu’on appelle pompeusement le service public de l’audiovisuel vient d’obtenir un sursis avec l’arrivée d’un nouveau Premier Ministre dont la tâche principale consistera à ne pas faire de vague dans la perspective de la présidentielle. Néanmoins, ce qui est défait n’est plus à faire. On exige de faire toujours plus avec toujours moins d’argent car la redevance vit ses dernières années. Quoi qu’il en soit, le problème se pose en ces termes. D’un côté, un service public de l’audiovisuel ne se conçoit que s’il propose quelque chose de vraiment différent mais, d’un autre côté, le public considère tout ce qui arrive sur un écran ou une application comme un divertissement. Par conséquent, il n’est pas prêt à plébisciter une réelle différence. Tout au plus marquera-t-il une préférence pour des programmes populaires mais sans vulgarité. Le Gouvernement, comptable des deniers publics, doit aussi tenir compte des goûts du public.