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101e km
20 août 2020

Comment des radios libres - par Jérémy


Avec le recul, on peut dire que la radio est le média qui a marqué les années 80. Conjointement au mouvement des "radios libres", émergeait la CB. L'interactivité apparaissait du même coup comme une anticipation de nos réseaux sociaux : la parole était offerte à chacun sur nombre de ces "radios libres", ce qui permettait de meubler l'antenne et d'en assurer la publicité par le bouche-à-oreilles ; la CB, une fois démocratisée, c'est à dire débarrassée de son jargon hermétique des débuts, est devenue un vecteur d'échanges et de sociabilités (j'emploie le pluriel sciemment et avec malice, les initiés comprendront) - sauf que parvenue à ce stade-là, l'expérience n'était plus loin de la fin. Les puristes des origines délaissèrent ce canal désormais trop fréquenté par les profanes, et la mode passant, les émetteurs-récepteurs et l'attirail afférent, antenne, tossmètre, ne tardèrent pas à gagner les caves et greniers d'où on les a extraits, des décennies plus loin, aux fins de les revendre aux collectionneurs éclairés.

L'aventure des "radios libres" devait rencontrer divers écueils qui décideraient de sa brièveté. La limitation des fréquences en FM dans les grandes villes – alors qu'il eut été sans doute intéressant d'exploiter les petites et grandes ondes, mais c'est là une autre histoire – voir Pourquoi des radios libres ? ; le caractère bénévole de l'expérience, qui se limitait à celles et ceux qui parlaient au micro et à celles et ceux qui étaient en régie. Les propriétaires des locaux ne donnaient pas dans le bénévolat, lesquels locaux fussent-ils de fortune (j'ai connu des boxes de parkings souterrains sommairement aménagés en studios), pas plus que les revendeurs d'un matériel qui était lourd et coûteux, même s'il était possible de loger un émetteur dans une boîte d'allumettes pour arroser toute une cité au moyen d'une antenne de fabrication artisanale. Platines, tables de mixage, et j'en passe, sans parler de l'inévitable apport du technicien capable de balancer une porteuse hors des heures d'antenne pour éviter de se voir sucrer sa fréquence par d'autres pionniers.

Restaient les droits SACEM. Eh oui ! Si les acteurs des "radios libres" étaient bénévoles, les artistes programmés et les majors réclamaient leur dû, comme à tout média de diffusion, et même à la coiffeuse du quartier qui se piquait de diffuser des cassettes dans son salon.

Une radio sans musique, ou avec un minimum de musique, requiert de l'inventivité. Il s'agit d'occuper l'antenne, de garder les auditeurs, de les fidéliser. C'est ainsi que dans les radios où j'ai traîné à cette époque-là, dans le sillage de mon frère qui était de la partie, j'ai vu errer ce genre d'individus qu'on voit graviter de près ou de loin autour de tout ce qui ressemble, d'aussi près et d'aussi loin, au show-biz. Des starlettes de quartier en rade de casting, des artistes reconnus et d'autres en quête de reconnaissance, des voyants extra-lucides, des ésotériciens, des conteurs reclus dans la confidentialité des érudits asociaux, d'obscurs poètes... et des mythos. Ce radio-amateur qui était partout où on ne l'attendait pas, perché au sommet de sa tour HLM de la périphérie niçoise, faisait-il partie des RG comme la rumeur l'affirmait ? Et ce type crade, avec sa R12 dépenaillée, qui explorait les environs en quête de points hauts inexpugnables où installer des antennes ? Et ce hacker avant la lettre, qui aurait, selon une autre rumeur, réussi à pirater l'antenne de TF1 pour y diffuser un film porno le dimanche en prime time avant de se faire arrêter puis embaucher comme technicien par TDF ?

Peu à peu, les antennes libertaires (ou apparentées) cédèrent leurs fréquences à de simili-"radios libres" relevant d'une mairie ou du journal local. Techniciens et voix émigrèrent pour les plus chanceux, ou les mieux aguerris dans l'art subtil de l'opportunisme, vers ces "Radios-M'sieur-le-Maire" où étaient invités, outre le maire en question, des personnalités bien assises de la vie locale. Il en alla de même pour les fréquences rattachées aux journaux locaux, dont les programmes se résumaient à des tunnels -de variétoche et de pub- ponctués de brefs flashes d'actu et de temps en temps, d'une émission assurant la couverture d'évènements locaux dûment agréés par la presse et l'intelligentsia locales. Les quartiers, le populo, les prolos, les taulards, les paysans si on était en campagne, les heures passées à disserter de tout et de rien autour d'un micro, du passé et de ses chansons réalistes sur Radio Saint-Paul-de-Vence, de l'avenir vu par les gourous Didier de Pleige et Guy Skornik sur Radio Ici et Maintenant, ou de la révolution toujours remise au lendemain sur Radio Libertaire. Tout cela bien vite ne fut plus de mise, même si quelques-uns de ces pionniers subsistèrent, s'accrochèrent, demeurèrent les années passant. Déjà, côté auditoire comme côté micros, on était passés à autre chose.

Aujourd'hui, les radios libres ne se dénombrent plus. Elles n'ont pas de fréquence, elles sont des sites où l'on peut se connecter pour écouter de la musique en continu. Mais on ne peut pas dire qu'il y en aient qui émergent du lot. La pratique ne s'est pas étendue au-delà du fond sonore ponctuel. Il y a quelques années, on pouvait se procurer des radios connectées dont on pouvait penser qu'elles supplanteraient nos antiques transistors et tuners. Ces radios connectées ne font décidément pas partie du paysage, ou alors sous la forme d'appareils domotiques au son effroyable qui servent à presque tout sauf à écouter correctement de la musique. Les projets de radios sur la TNT sont restés en l'état pour cause de modèle incompatible avec ceux de nos voisins - nos bureaucrates nous ont refait pour l'occasion le vieux coup du conflit Pal-Secam, et devant l'hilarité de leurs homologues étrangers, la prise de conscience tardive qu'il serait impossible de contraindre tout un chacun à changer de récepteurs, de tuners et d'auto-radio, et l'hostilité des radios affolées de risquer de perdre leurs auditeurs pour d'obscures tractations technico-politiciennes, ceux-là ont jeté l'éponge.

La radio, celle que les anciens ont connue, est en train de progressivement disparaître du paysage médiatique au profit des chaînes YouTube... des radios existantes, et du podcast, qui permet de sélectionner l'émission que l'on va emmener avec soi pour l'écouter où bon nous semble.

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