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101e km
17 octobre 2022

Non-choc pétrolier

Moi qui écris, j’ai vécu le premier puis le deuxième choc pétrolier. L’an prochain, à cette époque de l’année, ça fera exactement 50 ans. On en parlera mais sans faire le bilan de tout ce qui a été changé à la faveur de ce choc. Naomi Klein n’en parle pas (à ma connaissance) et pourtant, c’est peut-être la réalisation majeure de sa « théorie du choc » car alors même que la hausse des prix des hydrocarbures n’impactait pas tout, toutes les entreprises en ont profité pour licencier, bloquer de fait les salaires et exercer au niveau mondial un chantage sur les travailleurs : si t’es pas content, y en a des milliers qui attendent de prendre ta place dans les mêmes conditions et même encore moindres. C’est aussi, notamment en France qui était connue pour sa qualité de vie, le rattrapage de tous les avantages procurés par la protection sociale ; rattrapage accéléré depuis le début du siècle.

 

Ces choses posées, le plus important était le ressenti face à une hausse considérable du prix de l’essence (majoritaire dans les moteurs), du gazole (qu’on appelait encore gas-oil), du mazout dans les cuves des entreprises, des bâtiments publics comme les écoles et les hôpitaux mais aussi dans les poêles des foyers modestes. Bien sûr, au-delà de la colère, c’était surtout l’inquiétude face à ce poste budgétaire négligeable qui soudainement devenant primordial. Oh, certes, même à bas prix, même pendant les années d’expansion (rebaptisées Trente Glorieuses plus tard), les Français se plaignaient aussi des prix et du prix de l’essence à la pompe. C’est pourtant lors du choc pétrolier de l’automne 1973 qu’ils ont découvert que cette matière première a un coût et qu’ils en sont dépendants. Pourtant, malgré le quadruplement du prix du baril, payé en dollars, je n’ai pas observé de changement de comportement. Ceux qui prenaient leur voiture pour faire les courses le samedi, partir en promenade les dimanches, ont continué plutôt que d’attendre un peu que les choses se calment. J’étais au collège et ceux de mes camarades qui possédaient une mob ont continué à frimer dans le quartier les mercredis après-midis, et à venir à l’école avec, alors qu’ils habitaient à moins d’1 km. Dans les années qui ont suivi, j’étais au lycée et j’éteignais systématiquement la lumière dans ma salle de classe ou en passant quand je voyais une salle éclairée pour rien. Ça m’attirait les remarques amusées de mes camarades et même l’ironie de quelques professeurs. Évidemment, quand on est adolescent, on considère que tout ce dont on parle à la télé, ça concerne les adultes et rien qu’eux. Par conséquent, les messages appelant à limiter la température à 20° dans une pièce ne nous concernaient pas, pas plus que ceux qui incitaient à limiter les déplacements motorisés. Sauf que les adultes ne se sentaient pas plus impliqués. Ils raquaient et râlaient mais finalement pas plus que d’habitude. Disons que la hausse des prix des carburants s’ajoutait à un panel de récriminations récurrentes. L’inflation avait déjà débutée quelques années plus tôt et l’essence ne faisait que s’ajouter au prix du beurre (problème des produits laitiers), du pain (dont le prix était fixé par l’État), des produits de nécessité et autres. Autrement dit, un peu plus, un peu moins, ça ne changeait pas tellement. Il n’y a pas eu plus de grèves consécutives à cette hausse imprévue. À cette époque, les grèves étaient autrement plus fréquentes et plus bloquantes qu’aujourd’hui. L’inflation obligeait les salaires à rattraper les prix ; sauf que ça n’allait pas de soi pour le patronat ni pour l’État employeur.

 

gaspi-2La hausse des prix des hydrocarbures a eu des conséquences funestes et d’autres plus durables. D’abord, le Président Giscard, célèbre pour ses formules mémorables, a inventé « le gaspi », sorte de monstre qui, sous des traits comiques, devait inciter les français à chasser les gaspillages du quotidien. Une campagne publicitaire récurrente montrait un acteur inconnu exposer une situation de grosse consommation d’essence, suivie de conseil pour économiser. À la fin, il déclinait le slogan entré dans l’histoire de la communication : « Vous voyez, en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées ». Sauf que l’évocation de « la France » provoquait in petto la moquerie. On y voyait un esprit franchouillard ridicule. Pire, les injonctions à limiter la température à 20° ont été aussitôt suivies par ce qu’on n’appelait pas alors la « température ressentie ». Toutes les mamans expertes (comme aurait dit Reiser) et les grand-mamans encore plus consciencieuses, s’insurgeaient et mettaient un point d’honneur à pousser le chauffage. C’était pour leurs enfants, bien sûr. De sorte que les 20° étaient le fait de la température subie par ceux qui ne pouvaient faire autrement ainsi que par ceux qui possédaient déjà un logement bien isolé, d’une manière ou d’une autre.

 

Arrive le second choc pétrolier, consécutif à l’arrivée en Iran, un des principaux producteurs de pétrole, de religieux peu enclins à faire le jeu du commerce mondial, ainsi que des sanctions contre ce régime, visant à l’affaiblir et le voir renversé. N’empêche, 2 chocs pétroliers dans la décennie, ça faisait beaucoup. Pour autant, les comportements n’ont pas changé davantage malgré les appels réitérés à la responsabilisation. À l’époque, j’étais militaire. À aucun moment, je n’ai pu observer le moindre souci de ne pas gaspiller les carburants. À de rares occasions certes, on sortait les chars Patton qui nécessitaient 25 litres d’essence (et pas de gazole) rien que pour chauffer le moteur avant de les faire démarrer. Les chauffeurs prenaient leurs camions, leurs jeeps pour un oui ou un non. On faisait un tour des terrains, on allait en ville, on laissait tourner les moteurs : « C’est pas moi qui paie ! ». Mieux, on nettoyait les camions et les chars avec des brosses trempées dans le gazole. À la fin de l’année, on faisait tourner les camions sur la place du rapport afin d’épuiser les stocks de carburants en vue de réclamer la même dotation pour l’année prochaine et si possible, un peu plus. L’administration est ainsi faite que si l’on a du stock, la dotation diminue. Donc, on brûlait les stocks.

 

Depuis le début de l’année 2022 (et même un peu avant), les prix des hydrocarbures augmentent et pas qu’un peu. Le gaz de ville et en bouteilles en a pris un coup. Le passage à la pompe est devenu problématique. Pour autant, les comportements n’ont pas changé. Sur les parkings des supermarchés, ces messieurs attendent que ces dames reviennent des courses en laissant tourner leurs moteurs afin de profiter du chauffage ou de la climatisation, selon la saison. Devant les boulangeries de quartier ou de village, on peut voir en permanence de 1 à 4 voitures, moteur allumé, pendant que les conducteurs achètent leur pain. Ils n’en ont pas pour longtemps, n’est-ce pas. À croire qu’on en est toujours à l’époque où les moteurs démarraient à la manivelle. Chaque dimanche, lorsque je me promène à la campagne, je croise sur les chemins des quads, des motos genre cross qu’il doit falloir appeler « motos-vertes ». Lors de fêtes de villages, il n’est pas rare de voir une exposition de vieux tracteurs dont les propriétaires font tourner les moteurs en permanence afin de bien montrer la fiabilité et la régularité des vieux moteurs Vierzon diesel. Pas un mois ne passe, depuis le début des beaux jours, sans qu’une ville (ou plusieurs) de France n’accueille un rassemblement de vieilles voitures.

https://www.youtube.com/watch?v=nRrl1mbHo78

Outre qu’il faut converger vers le lieu, un défilé en ville (ou devant un site connu) répété avant l’exposition sur l’esplanade est organisé. Or, les vieilles autos consommaient beaucoup. Le Président Giscard, si décrié notamment à cause de l’inflation, avait demandé qu’on arrive au moteur qui consomme 3 litres aux 100 km. On y était presque arrivé, des années plus tard mais lorsque le cours du pétrole a redescendu en dessous de celui de 1973 (en argent constant), il devenait inutile de poursuivre les études. Dernièrement, le Circuit automobile de Dijon a fêté ses 50 ans.

https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/dijon/le-jt-du-12-13-de-france-3-bourgogne-en-direct-pour-feter-les-50-ans-du-circuit-dijon-prenois-2632608.html

 

À cette occasion, les amateurs pouvaient effectuer (moyennant participation bien sûr), quatre tours de circuit au volant ou comme passager de SUV de 350 ch d’une marque allemande, surtout connue pour ses victoires au 24 heures du Mans. Pourtant, la grève dans les dépôts de pétrole avait commencé plusieurs jours avant et déjà des Départements manquaient de carburants. Là où il y avait des habitudes de rodéos sur 2 roues (ça va de la frime dans le village ou le quartier, jusqu’à la compétition parfois mortelle entre cités ou entre caïds), ça continue de plus belle. D’ailleurs, certaines cités vivent depuis longtemps en dehors de la République et ne se sentent jamais concernées par les règles générales mais il ne faut pas stigmatiser des gens qu’on est prié de considérer comme des victimes, quoi qu’il en soit. Les souffleuses de feuilles sont en action. Aucun particulier, aucune municipalité, n’y renonce vues les circonstances. On va quand même pas reprendre un balai et devenir un vulgaire balayeur. Tant pis si l’on manque de carburants cet hiver, on ira pleurnicher, récriminer comme d’habitude. On accusera le Gouvernement, comme d’habitude et il s’en trouve déjà pour ironiser sur le Président de la République qui ne va sûrement pas diminuer le chauffage dans son palais.

 

Pourtant, les conversations tournent autour de la facture de chauffage de l’hiver qui approche. L’un raconte qu’il a eu la chance de se trouver dans la station-service quand le camion citerne venait de livrer et qu’il a pu ainsi faire le plein, après avoir attendu 1/2 heure. L’autre qu’il est passé devant plusieurs stations fermées, un autre encore qu’il n’est pas sûr de pouvoir sortir la voiture la semaine prochaine. Ne parlons pas des discours diffusés dans la sphère politico-médiatique qui constituent depuis longtemps un monde parallèle dans lequel le petit peuple ne se reconnaît pas, sauf quand il alimente ses malepeurs et son penchant pour le complotisme.

 

En attendant, tout le monde se comporte comme ce personnage du film de Pagnol, « Manon des sources », qui exige d’avoir de l’eau puisqu’il l’a payée au syndicat et qui ne comprend pas quand on lui explique que la source est (probablement) tarie. Cet hiver, il n’y aura peut-être pas assez d’énergies en tout genre pour tous les usages de la population mais tout le monde continue d’en user et d’en abuser comme si de rien n’était. Ainsi sont les Français.

https://www.youtube.com/watch?v=LXC1nq9NDUk

 

 

 

 

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