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101e km
9 septembre 2022

La Reine et moi (chronique des médias)

La Reine est morte, vive le Roi !

 

Il est bien évident qu’on ne va rien lire ici qui ne soit déjà archi connu. Tout a été dit et depuis longtemps mais c’est peut-être l’occasion de s’interroger sur l’information médiatique et sur sa réception dans le grand public. Sur la radio dite de « service public », l’émission en cours, consacrée aux logements mal chauffés et mal isolés, a été interrompue à 19 h 30 pour ne plus reprendre. On aurait pu annoncer la grande nouvelle de la mort de la Reine Elizabeth en rappelant simplement deux ou trois trucs comme sa naissance, les circonstances de son accession au trône, son mariage, son long règne et son dernier jubilé après 70 ans puis qu’on reprenne le cours normal : nous reviendrons sur la nouvelle avec notre correspondant en Angleterre dans le bulletin de 20 h, le temps de tout bien préparer quitte à commencer un peu avant, histoire de laisser plus de temps pour l’info. Au lieu de cela, émission spéciale où l’on n’a fait que dire et redire ce qu’on savait déjà : elle était malade, très vieille, n’apparaissait plus depuis quelques mois, a nommé sa dernière Prime Minister il y a deux jours et que son fils va lui succéder. Quelle surprise ! On le sait depuis plus de 60 ans et l’on s’y attend depuis au moins 40 ans. Pendant une heure et demi, ça n’a été que délayage. Rien qu’on ne sache déjà. Bien sûr que les funérailles sont déjà ordonnancées. On voit mal le Palais contacter les entreprises de pompes funèbres, étudier les devis et choisir le bois du cercueil et décider des chants pour la cérémonie. Dans un pays de traditions comme la Grande-Bretagne, tout ça est réglé depuis longtemps et selon un rituel qui ne laisse rien à l’improvisation. Les hommages sont ceux attendus dans ces cas-là. Tous les chefs d’État du monde vont souligner les qualités de leur homologue défunte, en rajouter, insister sur les relations avec leur pays respectifs. De toute façon, le monarque britannique a surtout un rôle de représentation et même en cas de crise très grave, on n’en a jamais vu reprendre le pouvoir en attendant que les choses s’arrangent. Donc, il n’y a pas de raison de se fâcher avec elle. En plateaux, on délaye. Que se passe-t-il sur place ? Il pleut ? Les gens sont tristes ? Ça alors, on ne s’y attendait pas du tout. On a en ligne un expert qui vous nous dire ce qui va se passer à présent. Le prince Charles devient roi. C’est sûr ? Les obsèques seront célébrées dans quelques jours. C’est étonnant. Le Roi sera couronné officiellement dans 3 mois, selon le protocole statutaire. Ah ? On avait donc prévu la succession de la Reine ? C’est stupéfiant ! On a en ligne un autre expert. Quel héritage laisse-t-elle après elle ? Rien de nouveau par rapport à tout ce qui a été dit et publié en juin, à l’occasion du jubilé. Les enfants et les petits-enfants sont arrivés, même ceux qui avaient pris leurs distances. Formidable. Et la princesse Diana ? Il faut en parler aussi. C’est Camila qui devient reine consort. Ça, pour le coup, on a eu l’air de le réaliser en direct. On retourne à Londres. Il pleut toujours ? Ah bon, il y a plus de monde que tout à l’heure ? Et il y a des touristes aussi ? Vite un autre expert. Est-on bien sûr que Charles succède à sa mère ? Quel nom va-t-il porter ? Charles ou George ? Véridique : ça ne s’invente pas ! Une heure et demi de délayage qui n’est pas sans rappeler « le grand entretien de la matinale » où l’on demande à l’invité son avis sur tout et pas seulement sur son domaine de compétence ou de responsabilités. Que pensez-vous de la sobriété ? Est-ce que les ministres doivent donner l’exemple. Comment êtes-vous arrivé au studio ? La covid, vous êtes pour ? Et la Coupe du Monde au Qatar, vous irez ?

C’est donc plus qu’une tendance forte. C’est le fonctionnement quasi rituel de l’information. On critique les chaînes de télévision qui diffusent de l’info en continu et font beaucoup de remplissage mais les autres ne sont pas en reste. La « Première radio de France », de service public qui plus est, s’y livre mais avec en plus la prétention de faire mieux que les autres. Certes, on ne cède pas au racolage facile et c’est déjà pas si mal mais il n’y a pas de valeur ajoutée à la dépêche d’agence. Comment dans ces conditions, le grand public peut-il avoir confiance dans ses médias de masse ? On survole un peu tout, on n’apprend pas grand-chose ou rien.

Comme si ça ne suffisait pas, on donne rendez-vous au lendemain 5 heures, quand reprennent les programmes et l’information, pour refaire une édition spéciale. Des fois que les lève-tôt ne soient pas au courant. Donc, ça recommence dès les premières heures. Ensuite, l’État dans l’État, la vitrine de la station, la matinale va en rajouter une couche. D’ailleurs, combien de fois, la matinale a-t-elle repris une info du samedi, voire du vendredi soir qu’elle n’a pas pu traiter sur le moment. Ce qu’ont fait les autres samedi et dimanche ne compte pas. Cette fois, on est en milieu de semaine mais comme il serait bien surprenant qu’on apprenne du nouveau, on va inviter des vedettes, comme à la télévision la veille, où l’on a interrompu le feuilleton ou le divertissement diffusé. Et l’on se répand sur l’air de « la Reine et moi » ou plutôt « Moi et la reine », suivi de « La Reine m’a dit ». Le lendemain matin, on reprend à l’envi le tube de la veille : « Que va-t-il se passer maintenant ? ». Nous reprenons le cours de notre édition spéciale. Mais alors, il faudra chanter « God Save the King » à présent ? Ça alors, c’est extraordinaire ! Et on va changer les timbres et les billets alors ?

Maintenant qu’on a fait le tour des chefs d’État en place, de leurs prédécesseurs, des directeurs des organisations internationales, tous éplorés, que pourrait-on trouver sans avoir l’air de rediffuser ce qu’on a déjà entendu ? Le Commonwealth ! Voilà la grande idée : plus de 50 pays indépendants mais dont la Reine d’Angleterre demeure la souveraine. Il faut être de culture anglaise pour comprendre. C’est comme le cricket.Et puis, quand c’est la matin ici, ils sont déjà tous levés depuis longtemps là-bas, sauf au Canada mais c’est fait depuis hier. Voilà de quoi remplir l’antenne sans problème. Et dans la presse écrite, dans les minutes qui suivaient l’annonce de la mort de la Reine, on avait déjà sur l’Internet la une des quotidiens et périodiques avec la photo déjà choisie. La seule information vraiment significative, c’est qu’on apprend que l’annonce officielle est tombée en début de soirée pour ne pas que les journaux tabloïd qui sont des torchons dont on n’a pas idée ici en France, ne traitent l’information à chaud.

Sur le sujet lui-même, on comprend que la popularité dépend de la capacité à ne rien faire tout en se montrant en train de ne rien faire. On peut durer 70 ans comme ça. Dure leçon pour tous ceux qui prétendent « réformer » ou exercer la réalité du pouvoir. On n’a donc rien appris qu’on ne sache déjà. Rien que de l’attendu. Finalement, l’information médiatique est à l’information ce que McDonald’s est à la cuisine. On sait ce qu’on va trouver et finalement, ça rassure. Et puis, on vient comme on est.

elizabeth - Stazione di Innsbruck 1969

 

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