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101e km
27 octobre 2022

Elkabach atomique

Jean-Pierre Elkabach était l’invité de la matinale d’Inter ce mercredi 26 octobre 22 à l’occasion de la sortie d’un livre de mémoires. Cette émission, théoriquement d’information, forme un programme complet à elle toute seule. Le « grand entretien » s’étire et n’en finit pas. À l’heure où le rythme doit être soutenu pour retenir l’attention, on a droit tous les matins à une moitié de « Radiosocopie », de feu Jacques Chancel. Il faut donc tenir 25 mn. En plus, ce matin-là, le duo reçoit un confrère et pour tout dire un maître. On passe vite sur l’enfance et la jeunesse qui est pourtant à peu près la seule chose qu’on ne sait pas de l’invité. Certes, l’idée est d’acheter le livre mais c’est valable pour le reste aussi. Jean-Pierre Elkabach a grandi à Oran, alors en Algérie française. Il aime dire qu’il vivait dans le quartier arabe, bien que juif. Il n’a pas eu la possibilité de développer les rapports méprisants entretenus par les Européens envers ceux qu’ils appelaient les Arabes, englobant tout ce qui n’était pas eux. Bien sûr, on en a beaucoup parlé à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance mais c’est toujours intéressant de connaître l’Histoire telle que vécue au quotidien par le peuple. On passe, donc pour rappeler que l’invité a rencontré tous les grands de France et même du monde. Ce n’est pas rien. Au milieu des extraits de présentations de ces entrevues, on entend quand même un, très court, du débat organisé par Elkabach sur le nucléaire alors qu’il venait d’être nommé directeur de l’information d’Antenne 2. Rappel des faits. À l’approche des élections législatives de 1978 qui s’annonçaient périlleuses pour la majorité, face à l’union de la gauche (pas si unie d’ailleurs), le pouvoir giscardien décide de faire nommer quelqu’un de sûr à la direction de l’information de la 2e chaîne de télévision qui, depuis le début, sous la présidence de Marcel Julian (conseillé par Jacques Chancel déjà cité), a marqué une certaine indépendance vis à vis des pressions. Sur la première chaîne, l’Élysée avait établi un lien avec la rédaction, notamment en la personne de M. Patrice Duhamel qui savait bien répercuter l’orientation politique du château, genre : le Président se situe au dessus des partis » ou « la France doit être gouvernée au centre ». Il fallait donc un meneur d’hommes et un professionnel aguerri pour prendre en main cette rédaction, certes loin après l’audience de TF1 mais on ne saurait être trop prudent.

C’est à cette occasion que ceux qui s’intéressent aux médias découvrent que Jean-Pierre Elkabach fait preuve d’un autoritarisme et d’un certain mépris envers ses collaborateurs. Ceci expliquera les frondes qu’il devra affronter dans les semaines qui suivront la victoire de la gauche en mai 1981 et à tous les postes de direction qu’il occupera par la suite et lui vaudront d’être licencié à chaque fois. Justement, le PDG d’Antenne 2 de l’époque, Maurice Ulrich, très proche de Chirac, prend sur lui de renvoyer Jean-Pierre Elkabach et son partenaire tant décrié pour les entretiens politiques depuis la création de l’émission « Cartes sur table ». En fait, outre l’autoritarisme, les journalistes et le public quelque peu informé, reprochaient à leur directeur de faire tout le travail plutôt que de le déléguer. Elkabach créait les émissions et les présentaient lui-même ; ce qui n’est pas le rôle d’un directeur. C’est aussi l’époque où l’on a commencé à dire : « à la télévision, tu signes avec ta gueule ». Donc, on voyait beaucoup celle du directeur ; trop même. Ainsi, ce fameux débat sur le nucléaire survient peu après sa nomination comme directeur. Il choisit alors d’associer la rédaction dont il vient, celle de France-Inter. Ce sont des semaines de reportages communs, d’explications, d’entretiens avec les meilleurs spécialistes et finalement, un plateau réunit les représentants des 4 grandes familles politiques de l’époque ainsi que des téléspectateurs sélectionnés. C’était courageux car nous étions en pleine construction des centrales prévues par le plan Messmer. Le pouvoir giscardien qui n’avait pas de pétrole mais des idées, poursuivait cette politique nucléaire contre l’avis de la population qui était inquiète, ainsi que le reflétaient les téléspectateurs invités et peu convaincus par les discours plus que rassurants des spécialistes et surtout des politiciens. Car, à ce moment-là, tous étaient favorables au nucléaire, à l’exception notoire de Paul Quilès pour le PS. À peine élu PR, Mitterrand dira qu’il suffira de bien expliquer aux Français le bien fondé de la politique du tout nucléaire qu’il poursuivra. Par conséquent, Jean-Pierre Elkabach pourrait se targuer d’avoir organisé le seule débat national sur le nucléaire dans ce pays. Pourtant, il n’en sera pas question au cours du grand entretien. Bien sûr, les deux journalistes n’étaient pas nés et le lobby pro nucléaire est assez puissant pour faire oublier un débat qui a prouvé l’inquiétude et l’hostilité de la population. On peut supposer aussi que dans les écoles de journalistes, on n’en parle pas non plus, préférant montrer des extraits de plateaux avec des entrevues qui se passent mal pour l’animateur ou qui n’apportent rien au public. Quoi qu’il en soit, le grand entretien de la matinale d’Inter, qui est pourtant tombé sur la présentation de ce débat, n’y fait aucune allusion, préférant rabâcher ce que tout le monde sait déjà sur les rapports entre Mitterrand et Elkabach et la face sombre du premier.

elkabach - inter - octCette histoire de grand débat sur le nucléaire montre pourtant toute l’ambiguïté du personnage. D’un côté, il y a le journaliste qui a le métier dans le sang, curieux de tout, à l’écoute des tendances, soucieux d’offrir au public ce qu’il attend mais toujours de manière professionnelle. De l’autre, il y a l’homme ambitieux, méprisant le personnel et n’oubliant jamais de favoriser les idées politiques qu’il défend. De cela, de cette ambiguïté, il n’en sera jamais question. Bien sûr, on ne le recevait pas pour lui asséner des reproches et le duo ne dissimulait pas l’admiration qu’il éprouvait pour leur aîné. N’empêche, on aurait aimé des questions sur sa carrière professionnelle et pas « moi et Mitterrand », « moi et M. Sarkozy ». D’autant que ce matin-là, les auditeurs n’ont pas eu la parole et qu’une fois de plus, l’entretien qui s’étire et n’en finit pas a débordé. Le comble aura été la pirouette finale pour reprocher le débordement à l’invité, dans un éclat de rire complice qui n’est pas de mise dans une performance journalistique.

 

Il est fait allusion, à l’initiative de M. Elkabach lui-même du groupe Lagardère, en passe d’intégrer le groupe Bolloré. On aurait aimé savoir comment lui l’avait intégré ; une première fois vers 1982, suite au licenciement mentionné. Il animait alors modestement une émission en début d’après-midi sur Europe 1 où il donnait la parole aux correspondants en province et notamment dans « les Hauts-de-France » puisque le Conseil Régional de Nord-Pas-de-Calais avait voté cette dénomination qui ne sera validée que 40 plus tard, englobant aussi la Picardie. Rappelé à la télévision, encore sur Antenne2 devenue France2, il quittera les responsabilités qu’on lui avait confiées dans le groupe Lagardère amputé de ses meilleurs (c’est à dire quasiment tous) éléments suite à l’émergence des chaînes privées. Là encore, les mauvaises relations qu’il entretenait avec ses collaborateurs finiront par écourter son mandat présidentiel et il réintégrera le groupe Lagardère, devenu Lagardère-Active pour ne plus le quitter. Il aurait été intéressant aussi d’avoir son avis sur le projet de reconstitution de l’ORTF en regroupant pour « faire des économies d’échelles » les chaînes de radio, de télévision et même l’INA. Lui qui s’est fait connaître à l’ORTF, qui en a été licencié 1 fois après Mai 68 et de fait en étant débarqué de la télévision fin 1974, on aurait aimé savoir ce qu’il pense, en tant que professionnel, de ce qu’on préfère appeler pompeusement « une BBC à la française. On reste dans l’anecdotique.

Pourtant, évoquer un tel personnage déborde largement du simple livre de souvenirs même d’un journaliste de premier plan. Où l’on voit une fois de plus que « le grand entretien » d’Inter est trop court ou trop long. Trop long pour simplement faire la promotion d’un bouquin et faire plaisir aux deux animateurs. Trop court pour tirer des leçons de journalisme : la façon de diriger une rédaction par exemple ou de coller à l’actualité sans démagogie. M. Elkabach y a fait un peu allusion en dénonçant une hiérarchie de l’information à la télévision qui donne une importance démesurée aux faits divers. Pourtant, lui-même, en prenant ses fonctions de PDG de France-Télévision avait annoncé qu’il fallait chercher non pas ce que les gens pensent d’un événement, mais ce qu’ils ressentent. Il indiquait clairement la primeur de l’émotion sur la raison ou, pour reprendre les mots de Camus, du réflexe sur la réflexion. Il aurait changé avec l’âge ? Il aurait été intéressant de savoir pourquoi et là, ce ne sont pas 35 mn (plus) qu’il faudrait mais bien une heure complète. Il a été rappelé qu’il a débuté quand De Gaulle était PR, soient plus de 60 ans en arrière. Il a dit en passant que De Gaulle encadrait strictement les entretiens avec la presse et repoussait les micros. C’est là qu’on airait pu apprendre quelque chose de l’évolution du journalisme et des pratiques politiciennes. Dans ses moments d’amertume passée, M. Elkabach rappelait qu’il a fait partie de toutes les charrettes, celle qui a suivi Mai 68, celle favorisée par la suppression de l’ORTF en 1974, celle de 1981, de 1988 etc. On aurait aimé son explication. De ce qu’on a entendu au cours de ce « grand entretien », il n’y a rien qui donne vraiment envie d’en savoir plus. On ne saura rien des projets médiatiques de M. Bolloré dont il est le conseiller, sinon qu’il lui prête l’intention de faire barrage à l’extrême-droite ; ce dont on peut être étonné de la part d’un patron aussi conservateur.

Espérons qu’après la publication de ses mémoires, M. Elkabach aura la sagesse de se retirer définitivement et de passer enfin de l’autre côté pour être interrogé par ses successeurs.

 

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-26-octobre-2022-5692067

 

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