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101e km
3 septembre 2022

La gauche et le peuple (par Jérémy Bérenger)

On ne renversera pas le capitalisme par un marxisme dont pas un pékin sur cent sait encore de quoi il retourne. Surtout quand on voit ce que ça a donné de l'autre côté du Rideau de Fer en matière d'émancipation des masses, et ce qui est advenu ensuite des pays libérés de l'emprise communiste. Le capitalisme, il se renversera tout seul et l’on voit tous les jours l'illustration de cet effondrement ! Cela prendra du temps mais Rome ne s'est pas effondrée en deux week-ends.

 

La lutte des classes, on ne la nomme plus mais elle n'a jamais été si effective ni violente. On n'a plus de classe ouvrière revendiquée mais un lumpenprolétariat que les intellos marxistes n'ont pas vu venir, que les partis de gauche et leurs syndicats ont traité par le déni. Dans les années 70, des intellos et journaleux marxistes vantaient les mérites d'une classe ouvrière dont il ne savaient rien des motivations. Comme s'il y avait une volupté existentielle à se taper l'usine, le chantier, la chaîne de montage, pour se retrouver voûté, le dos cassé et prématurément vieux à quarante ans, les soirées devant la télé, empilés dans des barres immondes entre un supermarché et un stade... Ils n’ont pas vu que les prolétaires-ployant-sous-le-joug, étaient pressés, lorsqu'ils ont eu accès au crédit, de troquer leur R10 contre une R20 et nantis de deux salaires, de se payer un appart en ville ou de faire construire loin de la périphérie qui leur avait été assignée par leur destin social. Leurs fistons et fifilles ont été plus enclins à passer des concours pour intégrer la Fonction publique qu'à enfiler un bleu de chauffe et une blouse d'ouvrière, sauf peut-être quand ils se mettaient à leur compte.

Le wokisme n'améliore pas plus le sort de celles et ceux qu'il est sensé mettre en avant, que les intellos marxistes de jadis ne rendaient plus plaisants, par leurs débats, le quotidien des prolétaires. Le but du wokisme est surtout de créer de nouveaux marchés, comme sont apparus un rayon hallal et un bio dans les grandes surfaces, il y a quelques années. Après, les luttes sociales sont aux mains de celles et ceux qui subissent le plus les politiques régressives. Chacun, à son niveau, s'émancipe sans besoin de se référer à des thèses d’autres siècles. La défiance à l'endroit du système, du travail, de la flicaille, de l'autorité en général, des politiciens, des symboles du capital, banques, multinationales, actionnaires, assureurs, tend à se généraliser. La conso est devenue un substitut au non-sens existentiel, qui est loin d'être une nouveauté. On goûte à cette drogue et ce qui coûte trop cher au coin de la rue on se le paie sur l’Internet ou en soldes. On se crée son petit monde artificiel pour tuer les heures de rien. Quand on voit les affiches revendiquant le Smic à 2000 euros, on comprend que la gauche a encore raté une station. La gogauche, Nup's et consort, n'a pas pris conscience d'une évidence de l'époque : le populo, il veut du blé mais exit le taf. La gauche est restée productiviste quand son peuple supposé n'aspire qu'à jouir de sa vie comme il l'entend, avec du fric à dépenser.

La faute à quarante ans de précarisation du boulot, d'horaires coupés, de demi-salaires. Cela prenait avec les anciens mais plus avec leurs rejetons et ça fait un bail déjà qu'en face, ils se plaignent de ne plus trouver preneurs pour leurs "zempois" jetables. La faute aussi aux formations bidon, aux stages occupationnels, au tout-qui-ferme en bas de chez soi, rendant le taf inaccessible géographiquement pour ceux qui n'ont pas de quoi se déplacer. Déjà à l'époque du RMI, on était en train de fabriquer des générations qui ne bosseraient pratiquement jamais, incompatibles avec le système qui était en train de se mettre en place, où de plus en plus celui qui bosse paierait pour bosser, où de moins en moins le salaire serait un enjeu. Les Marx Brothers n'ont pas vu venir ce lumpenproletariat, et leurs brillants cerveaux l'ont ensuite traité par le déni. On avait déplacé les bidonvilles des baraques en planches aux destins suspendus aux minimas sociaux, et les regroupements familiaux allaient amplifier le phénomène. On empilait dans les barres HLM devenues des ambassades du Bronx, ce qui s'apparentait déjà à une ghettoïsation. On s'éloignerait comme jamais des vieilles lunes révolutionnaires, le pauvre n'aspirant qu'à la survie et à l'aubaine hypothétique qui le sortirait de sa mouise. Foin des grandes théories et des AG bavardes.

 

cité des 4000

La gauche s'est plantée sur tous les fronts où on était en droit de l'attendre ; dont celui, spectaculaire, car des plus visibles, des sans-abris. Elle a lâché les précaires et a mis en place des politiques qui ont contribué à accroître la précarité, jouant ainsi le jeu de ce qui était supposé être l'ennemi. Elle s'est concentrée sur ses valeurs sûres, les fonctionnaires, composants d'une classe moyenne encline à voter car ayant un statut, des acquis, un patrimoine en construction à protéger. Il n’est plus temps de rabâcher sur les causes de la énième crise qu'on traverse, d'autant qu'on en traverse plusieurs et que les solutions ne sont pas à portée de vue. Dans ces cas-là, l'individualisme prévaut, et c'est compréhensible. On pense d'abord à soi. Question de survie. Et puis, quel enjeu collectif proposer, qui sache rassembler les foules ?

 

 

 

 

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