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101e km
22 juillet 2022

Comment nommer l’extrême-droite ?

 

L’extrême-droite n’a pas fini d’empoisonner le débat politique ou plus exactement les commentateurs. Depuis que le sinistre FN occupe le devant de la scène, après l’incroyable invitation de son chef dans l’émission phare à l’époque, « L’heure de vérité » en juillet 1983, ils sont tiraillés entre plusieurs forces contradictoires. D’une part, ils éprouvent de la répugnance envers une famille politique qui prône le rejet de l’autre, surtout s’il est plus faible ou étranger. D’autre part, ils ont vite compris que l’émergence de ce groupuscule allait bousculer le jeu politique et donc faire de l’audience, à l’instar de l’émission citée. Ils ont également pigé qu’il suffirait désormais de prendre le contre-pied de l’extrême-droite pour passer à peu de frais et sans risque, pour quelqu’un de bien. Enfin, ils ne savent pas comment nommer ce segment de la politique, jusque là cantonné à une extrémité dont on ne parlait qu’à l’occasion d’élections. Bientôt 40 ans plus tard, on en est toujours là. Pendant des dizaines d’années, les commentateurs ont hésité entre les termes, choisissant finalement la très commode « extrême-droite ». Seulement, ce terme revêt depuis toujours un caractère péjoratif. De l’autre côté, « l’extrême-gauche » provoque le même rejet mais le nombre de ses membres et l’éclatement des mouvements a conduit à opter pour le terme de « gauchistes » pour englober tout ce petit monde. Pourtant, on n’a jamais osé dire « droitistes » pour les membres de l’extrême-droite. Ça aurait été pourtant plus simple. On n’y a même pas pensé. Nos élites intellectuelles ignorent tout de la simplicité. Les commentateurs, s’ils parlent volontiers de « l’extrême-droite », refusent cependant la conséquence qui est d’appeler « extrémistes » ses membres. Finalement, après des lustres et l’installation désormais définitive dans le paysage politique français du FN, ils ont inventé « frontistes ». Bizarrerie lexicale extrême puisque d’habitude, on reprend l’adjectif qualificatif qui complète le nom commun du mouvement politique. On parle bien des « socialistes », des « communistes », autrefois des « républicains » pour les adeptes des PS, PCF, PR. Parfois, c’est le terme générique qui l’emporte : giscardiens, centristes, écologistes. Pour le FN, on prend toujours des pincettes. Il aurait été logique de dire « nationaliste » d’autant que « frontiste » a vite montré ses limites quand à gauche, on a voulu reformer le Front Populaire qu’on n’a pas osé reprendre, préférant « Front de Gauche ». Que faire ? Deux « frontistes » ? Ça convenait bien à ceux qui mettent les deux dans le même panier pour éviter d’avoir à analyser leurs programmes. Et puis, le RN a pris la relève et aux dernières nouvelles, on en est toujours au même point : l’impossibilité de seulement nommer l’extrême-droite et ses membres.

 

Pourtant, quand il s’agit de l’étranger, nos journalistes et autres commentateurs n’ont pas ces scrupules. Ils qualifient volontiers de « fascistes » tout ce qui se trouve après le parti de droite au gouvernement. Ainsi, ce jeudi 21 juillet dans l’énoncé des titres du journal parlé de 8 h sur Inter, le présentateur a évoqué la crise en Italie, provoquée par les « post-fascistes », suivi aussitôt de l’annonce du nom de l’invité, M. Tanguy, étoile montante du RN, qui n’a pas eu droit, lui, à ce qualificatif. L’Italie est le berceau du fascisme. Il a encore des partisans mais le MSI (dont le FN a repris le logo avec la flamme tricolore) a disparu en 1995 pour laisser la place à l’Alliance Nationale qui n’a cessé de se rapprocher du centre pour finalement disparaître. Les héritiers vraiment fascistes ont formé leur propre groupuscule ignoré ici. Il est vrai que la nature ayant horreur du vide, les partisans de l’extrême-droite en Italie se retrouvent dans la Ligue Nord, devenue la Ligue tout court et maintenant les Frères d’Italie qualifiés par nos journalistes de « post-fascistes », parti qui a repris, en effet, la flamme tricolore du MSI. C’est que nos journalistes vont vite en besogne quand il s’agit de commenter la politique dans les pays étrangers. Autant ils prennent des précautions ici (on ne sait jamais), autant pour les autres, on se permet de dépeindre à gros traits la vie politique. À chaque élection, chaque grande manifestation en Espagne, on nous ressert le poids des franquistes, de leur retour. Pourtant, depuis la mort du dictateur, en 1975, il n’y a plus de parti qui se réclame du franquisme. Les nostalgiques existent mais se retrouvent dans des associations qui commémorent à l’occasion. Seulement, on aime bien se faire peur sans prendre trop de risques et agiter la menace fasciste à nos frontières. Vox, premier parti espagnol d’extrême-droite depuis 1975 a été fondé en 2013 mais on a la conviction, ici, qu’il a toujours existé. En tout cas, depuis sa création, on dirait que les analystes respirent, soulagés de pouvoir se laisser aller à la facilité de commentaires sur le retour d’un caudillo, sans la menace d’un véritable spécialiste de la politique espagnole. Cette querelle de mots pour désigner l’extrême-droite française est d’autant plus amusante que les commentateurs étrangers n’ont jamais hésité à qualifier le FN de « néo-fasciste », ce qu’il était objectivement ; tout comme l’est Frères d’Italie qui préfèrent le terme de « post-fascistes ». Au moins ne perdent-ils pas de temps en euphémismes dont les Français si friands.

 

extrême-droite

Alors, plus important que les termes – encore qu’il faille bien nommer les choses pour pouvoir réfléchir – il convient de s’interroger sur la nature du RN. De toute évidence, le travail dit de dédiabolisation menée par Marine Le Pen a abouti. Les anciens, tiraillés par les vieux démons antisémites et racistes en général sont partis, atteints par l’âge. Une nouvelle génération a pris la place. Elle a grandi dans ce qu’on n’appelait pas encore la diversité et n’est pas obnubilée même si elle met toujours en avant les problèmes posés par l’immigration. On ne se refait pas complètement. Il serait intéressant de comparer le programme du RN avec celui du RPR de décembre 1976 et surtout avec celui de sa liste intitulée Défense des Intérêts de la France en Europe, aux premières élections européennes de 1979, menée par Chirac et Debré. On ne devrait pas trouver beaucoup de différences, notamment sur l’Europe. À l’époque, Chirac employait volontiers une phraséologie ouvriériste et parlait de la démocratie comme d’un « régime autoritaire ». Revenu aux affaires en 1986, on a vu, en effet, comment ça se traduisait concrètement. Aujourd'hui, Chirac est intouchable depuis que la bonne gauche le reconnaît comme le dernier grand Président de la République après avoir effectué « l’inventaire » de Mitterrand. Toutes ses turpitudes, tous ses errements sont oubliés, effacés. Le RN est le premier parti souverainiste de droite en France. Il a entrepris un effort de sérieux en matière économique, reprend les solutions comme les circuits courts, le localisme, la ruralité. Autrement dit, rien de bien méchant comparé aux propos orduriers qui étaient l’ordinaire du FN mais qui attiraient nombre d’électeurs ; il ne faut jamais l’oublier ni le minorer. Pour autant, le RN est-il devenu respectable ? Ses cadres nationaux le sont ; encore qu’il faudrait examiner de plus près. Cependant, nombre d’élus, qui forment donc un groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale, avaient pris leur carte au FN du temps de son chef fondateur et des ses outrances répugnantes. Ils y ont adhéré. Vu leur âge, il n’y ont pas renoncé. Par conséquent, si le RN affiche une façade décente, il n’en demeure pas moins que nombre de ses membres et de ses élus peuvent encore être qualifiés de « néo-fascistes » même si jamais aucun commentateur n’a osé employer ce terme pour des politiciens français.

Aujourd’hui, le RN se situe plutôt à la droite de la droite, pour reprendre un euphémisme typiquement français. Historiquement, on a commencé à utiliser la formule pour désigner la mouvance qui quittait le PCF sans toutefois rejoindre le PS. Cet entre-deux (incarné notamment par M. Patrick Braouezec et Mme Clémentine Autain) était surnommé la gauche de la gauche. M. Mélenchon en est vite devenu la figure emblématique. Maintenant, il n’est plus question de reprendre cette terminologie lourde dans la mesure où la Présidence de M. Macron a recentré la politique et la courte victoire de sa formation aux dernières législatives conduit ses partisans, les chefs des anciens partis de gouvernement (LR et PS) et les journalistes (toujours soucieux d’assurer leurs arrières) à adopter la très péjorative « extrême » pour désigner à la fois le RN d’un côté et la NUPES de l’autre. Il est admis (par qui ?) désormais que la Fi relève de l’extrême-gauche et ce ne sont pas les résultats cumulés (inférieurs à 1%) des partis qui sont vraiment d’extrême-gauche qui pourront rétablir la vérité. Ainsi, on insinue l’illégitimité de ses deux formations (NUPES et RN) dont le succès relatif est présenté en permanence comme un accident électoral. Un peu comme s’ils disaient tous ensemble : vous êtes certes plus nombreux, on vous laisse vociférer mais laissez-nous gouverner ; c’est à dire transposer en France les injonctions de l’UE et de l’OMC. Ce message méprisant rappelle furieusement les temps qui ont suivi la (seule) victoire de la gauche en 1981, lorsque les mêmes, parlaient « d’expérience socialiste », quand ils analysaient la politique en cours. Comme si c’était une parenthèse qu’il fallait subir en attendant de revenir aux choses sérieuses. D’ailleurs, tout comme en 1981, on perçoit déjà que ces propos méprisants s’adressent surtout à la gauche, la NUPES et en particulier à sa formation principale, la Fi. Dans la mesure où le RN vote de plus en plus souvent avec LREM et LR, il acquiert une respectabilité. C’était pas plus compliqué que ça pour en finir avec l’appellation infamante « d’extrême-droite ».

 

 

On relira :

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/03/23/20704733.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2013/09/18/28041094.html

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2007/04/13/4619218.html

 

 

image :

https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtres/meurtre-de-clement-meric/comment-lextreme-droite-radicale-se-recompose-en-france_2679850.html

 

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Commentaires
S
Entendu ce lundi 1e août :<br /> <br /> « Plusieurs anciens collaborateurs de droite racontent avoir franchi le Rubicon car les idées du RPR sont aujourd'hui celles du RN. ». <br /> <br /> https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-6-9/le-6-9-du-lundi-01-aout-2022-7663372<br /> <br /> (1 h 34 – journal de 7 h 30)<br /> <br /> <br /> <br /> Quand on a de la mémoire, il y a des choses qui n’échappent pas.
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