Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
101e km
1 octobre 2021

AZZOUZ, marchand de journaux à Belleville (Paris) et un vrai ami

M'Hamed Azzouz, dernier marchand de journaux et "mémoire de Belleville", à Paris

Depuis 30 ans, M’Hamed Azzouz vend des journaux dans sa boutique de Belleville. Dernier marchand de presse du quartier, ce personnage est une mémoire de cette vie bellevilloise.

 

Par Rédaction Île de France Publié le 26 Sep 21 à 8:32 

https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/portrait-m-hamed-azzouz-dernier-marchand-de-journaux-de-belleville-a-paris_45177718.html

 

« 2, 3, 5, 10… et 20 centimes ! Merci ! » Ce mardi de septembre à 16 heures, le va et vient des clients ralentit. Ouvert depuis 7 heures du matin, M’Hamed Azzouz dit ZZZ – prononcé Zède-Zède par ses plus proches clients – fait preuve de son entrain habituel. Debout derrière son comptoir de papier, il répète les mêmes gestes depuis 1990 – l’année où il a racheté la boutique de presse située dans le 20ème arrondissement de Paris.

« Je suis au courant de tout, avant les radios »

Ce jour-là, il a encore quatre heures de boulot devant lui. Et rebelote jusqu’à dimanche. « Je suis bien obligé, les gens veulent leur journal. » À 62 ans, air rieur plaqué sur le visage, il tient à maintenir en vie une profession en déclin. « En mutation défavorable », dit-il.

Pour d’autres vendeurs de presse, la journée commence par la livraison des journaux. Mais M’Hamed, lui, tient à récupérer lui-même sa marchandise au dépôt de Bobigny. Sa route est longue – 47 kilomètres exactement – puisqu’il débarque chaque matin de Soignolles-en-Brie (Seine-et-Marne). Et la journée commence tôt, très tôt. « 6 heures, 6h30 quand je lève le pied », dit-il en grattant son crâne dégarni. Avant de se rendre à la boutique, il livre quelques canards aux bistrots et tabacs de proximité, notamment au Mistral. Un rituel.

Arrivé à La Fée Carabine, nom de l’échoppe rue des Pyrénées, il doit débuter la mise en place. Azzouz donne ce nom à son magasin, avec l’accord de Gallimard, en hommage à son ami Daniel Pennac. Ex bellevillois, l’auteur y achetait le journal chaque matin. « C’est un hommage que je lui rends, il en est très touché ! » En plus, Azzouz est sûr d’être la première librairie à porter ce nom. La mise en place ralentit. Avant d’ouvrir son antre, Azzouz lit.

En jogging, avec un gilet en mailles grises et une paire de tongs, il prépare « sa drogue », sa revue de presse. Une habitude qui fait de lui un fin connaisseur de l’actu, auprès de sa clientèle. Féru de lecture, il a ses titres préférés : La Croix et l’Humanité. Deux quotidiens qui ont toujours « une info qui sort du lot ». Marianne, au contraire, il « déteste ».

Parle moi d’une info et je saurais te donner le journal correspondant. Je suis au courant de tout, moi. Je suis au courant de tout, même avant les radios.

Il sait que Le Parisien du jour est sous le Libé d’avant-hier

Sa vitrine colle toujours à l’actualité. Cette fois-ci : le dernier hors-série de Télérama, une Une du Monde sur la vaccination et encore quelques hommages à Belmondo. Peu importe si la devanture met en avant un titre choc, autrement-dit d’extrême droite. « Si je devais satisfaire tout le monde, on ne verrait que les murs. » Il affiche ce qu’il aime, « ce qui fait débat », et ça marche. Pas forcément accueillante, sa boutique attise la curiosité.

Cartons même pas déballés, piles de journaux et magazines d’il y a six ans jonchent le sol. On y trouve même quelques VHS. Les touristes, stupéfaits, entrent juste pour prendre des photos. Azzouz accueille ses clients dans 38 mètres carré de foutoir. Pourtant, lui s’y retrouve. Il sait que Le Parisien du jour est caché sous le Libé d’avant-hier, c’est son « bordel organisé ». En plus d’être le dernier diffuseur de presse de Belleville – il tient à l’appellation, plus gracieuse que simple vendeur – les gens apprécient son magasin atypique. M’Hamed Azzouz sait qu’il passe pour un dingue. En tout cas « un marginal. »

Conscient que la fin approche

Lui est apprécié pour sa simplicité. Né de parents marocains, Azzouz a grandi dans le Tarn avant de déménager à Melun à douze ans. Son accent chantant témoigne d’ailleurs de sa mixité. Pas superficiel pour un sou, il gère sa boutique comme on gère un bistrot. « Bonjour Madame, vous voulez votre Point de vue ? Un petit café avec ? »

Ses clients, il les connaît pour la plupart depuis plus de 25 ans. Si certains comme monsieur Lérès sont aujourd’hui disparus, « paix à leurs âmes », ZZZ se remémore avec émotion un fidèle, dont il a oublié le nom. Un retraité de la télé, si curieux de tout qu’il achetait chaque jour pour trente euros de journaux et magazines. « Il faisait lui-même le compte et par respect, je ne vérifiais jamais s’il s’était trompé ou non. C’était un gars généreux. » En effet, ses clients sont (presque) tous de l’ancienne génération, surtout des retraités. Il insiste ! Ce ne sont pas les nouveaux du quartier qui achètent la presse ! « Pas les bobos… »

Azzouz a conscience qu’en tant que diffuseur de presse, la fin approche. Selon lui, sa Fée Carabine sera bientôt remplacée par un tabac « attrape-nigaud » qui vendra des jeux et le loto. « Le gars vient prendre un millionnaire avec un billet de 50 euros, vous lui changez et le remboursez… C’est une prise de tête. » La proposition lui a déjà été faite, mais lui n’est pas là pour faire rêver les gens. Son truc à lui, l’essence-même de son métier, c’est de transmettre le savoir. Figure du quartier et maître dans l’art de vendre la presse, il sait qu’après lui personne ne viendra le remplacer. Son vieil ami Brahim Saci, poète-écrivain, le dit lui-même : « Quand tu ne seras plus là, c’est tout Belleville qui sera en dépression. »

azzouz ©Louise Pointu d’Imbleval actu Paris 1

Une « mémoire du quartier » de Belleville

Grand nostalgique, Azzouz regrette la vieille époque. La presse se portait mieux quand elle n’était que papier, payante, et accessible à tous les coins de rue. Alors qu’il y a dix ans ils étaient encore douze diffuseurs de presse dans le quartier, il est aujourd’hui le dernier du secteur. La faute au numérique ? Possible. Selon lui, « inter-bête » ne propose qu’une masse d’information sans analyse, beaucoup de pub, et peu d’honnêteté intellectuelle. On cherche à faire le buzz et on a les yeux rivés sur « TikTok et Nabilla. » Une hérésie pour ce « militant pour la paix dans le monde », qui veut aider les minorités et faire vivre sa profession. Et puis les diffuseurs de presse sont sous-payés, les kiosques fermés… La faute aux gens aussi, sans doute, qui ne veulent plus payer pour l’information et se contentent de l’horoscope, la météo et du programme télé. « Quelques faits divers à la limite… »

Aussi nostalgique du journalisme d’antan, M’Hamed se prête avec joie au jeu de l’interview. Copain avec Leos Carax, Jean Védrines et d’autres artistes qu’il vu passer dans sa boutique, ce grand parleur à l’allure modeste aime que l’on s’intéresse à lui. « C’est normal ! C’est grâce à moi que la presse se vend ! » Un sacré franc-parler, une boutique bordélique… En voilà assez pour que des journalistes tels que Jean-Pierre Ferrini lui consacrent tout un chapitre. Dans son dernier livre À Belleville, paru en avril 2021, il raconte le symbolique ZZZ et son amour du métier. Brahim Saci, admiratif, le qualifie de « mémoire du quartier. »

Par Louise POINTU D’IMBLEVAL.
En partenariat avec le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ).

Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Actu Paris dans l’espace Mon Actu . En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité