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101e km
21 mars 2021

Il y avait une glycine

Tout ce bruit pour une malheureuse glycine, même centenaire, n’est-ce pas exagéré ?

D’abord, forcément, il n’y a pas tant de bruit que ça et seuls les Montmartrois actuels ou de cœur, se sentent concernés. Montmartrois, je le suis un peu pour être né et pour avoir grandi au pied de la Butte Montmartre, dans le quartier de Clignancourt, populaire et cosmopolite, qui vit à l’ombre de la tour du Sacré-Cœur, seul élément visible de la Butte quand on se trouve dessus.

La glycine en question poussait sur le petite place du Calvaire, à l’écart du flot des touristes. Quand il n’y avait pas encore de Maire à Paris, la place ne payait pas de mine. On y accédait par l’impasse Traînée, du nom d’un piège à loup qui rappelle que c’était la campagne jusqu'au milieu du 19e siècle. Les riverains, employés des cafés et des restaurants y trouvaient parfois une place pour garer leur bagnole car, bien entendu, ni le bus, ni encore moins le métro ne monte jusque là-haut. Une fois sur la place, un parapet de béton découvre la meilleure vue sur Paris, quoi que gênée par un immeuble tout seul, presque en face. En contre-bas, un terrain vague, en pente qui a été plus ou moins nettoyé lorsque Paris s’est doté d’un maire. En 1977, on commençait à parler d’écologie et comme il devait être difficile de vendre le terrain à un promoteur sans défigurer l’ensemble du site montmartrois, il a été décidé d’y planter des arbres qui, depuis plusieurs années, cachent la vue. Peut-être aussi qu’à terme, après des années sans pouvoir accéder au panorama, on pourra sans inconvénient y construire un immeuble dont on imagine aisément le rapport. En attendant, les promeneurs égarés par là ne s’y attardent plus guère, ce qui contribue davantage à la tranquillité du lieu. Quelques uns qui l’avaient repéré, reviennent s’y asseoir pour déguster un sandwich acheté plus loin. La poubelle de la place déborde en permanence. À côté, se trouve un passage pavé (comme le reste de la place) entre une maison haute, de style Art-Nouveau, où a vécu un peintre illustre mais inconnu et une petite maison couverte de tuiles, aménagée depuis plus d’un siècle en café-restaurant. Les toits en tuiles de Montmartre tranchent avec le reste des toits en zinc parisiens et soulignent la singularité de la Butte, comme un coin de campagne dans la capitale. Inauguré à l’enseigne du « Coucou », bien avant la guerre de 14, c’est sans doute à cette époque que la glycine a été plantée. Dans les années 1950s, il prend le nom de « Chez Plumeau » pour illustrer une expression populaire. J’avoue m’être attablé à sa terrasse assez peu souvent car elle est toujours bien occupée et, quand on habite sur place, on se dit qu’on ira un autre jour. C’est à cause de ce raisonnement que je ne suis jamais monté sur la Tour Eiffel.

glycine @ParisBiseArt 1Il y a toujours foule à la terrasse de Plumeau et les propriétaires successifs, le plus illégalement du monde, installent des tables aussi loin que possible pour répondre à la demande, laissant un étroit passage le long de la maison du peintre. Les clients y apprécient le pittoresque de l’endroit, couvert par une treille où les branches de la glycine courent et s’y affalent. Aux beaux jours, l’ombre est bienvenue quoi que la maison du peintre cache la vue et le soleil jusqu’au début de l’après-midi. Qu’importe, l’endroit est agréable, surtout quand on se souvient que moins d’une heure avant, on se trouvait en plein Paris avec tout ce que ça veut dire et que quelques minutes seulement auparavant, on piétinait avec les touristes sur la place du Tertre, la place des peintres avec leurs chevalets. Avec un peu de chance, on profite de la floraison de la glycine, arbuste qui produit des fleurs mais d’une grande fragilité. D’abord, la glycine met des années avant qu’une première et unique fleur ne sorte. Ensuite, une fois bien développée, après quelques années encore, le moindre coup de gel suffit à priver la plante de floraison. Alors, quand on lit les justification embarrassées et spécieuses de M. Nadjovski, élu EELV (mais pas écologiste visiblement) concluant à la mort de l’arbuste parce qu’il n’y avait pas de fleur l’an dernier quand il est passé prendre une photo, on peut s’interroger. Et puis quoi ? Faut-il qu’une plante produise des fleurs tous les ans pour avoir le droit de continuer à vivre ? Voilà une singulière et très productiviste conception de la vie. Impitoyablement, on doit tronçonner l’arbre qui ne produit pas l’année où le décideur passe. Est-ce là la logique écologiste ? Parlant d’économie, de production, il est bien évident qu’il n’y aura plus grand intérêt à venir s’asseoir « Chez Plumeau », à l’ombre de la façade grisâtre de la maison du peintre.

La presse locale* nous apprend que des travaux avaient été effectués l’an dernier pour refaire la place et qu’ils se sont heurtés à un arbre, abattu dans la foulée, et à la fameuse glycine qu’on a cernée de pavés jusqu’au tronc. On peut supposer que l’ordre des travaux avait omis la glycine et que le chef des travaux chargé de les exécuter n’a pas pris l’initiative ce qui a dû motiver la visite cet hiver d’un obscur fonctionnaire, chargé des espaces verts en ce moment mais qui pourrait tout aussi bien changer de service si un meilleur poste venait à se libérer. Il a dû constater que les travaux n’étaient pas achevés à cause de cette vilaine glycine dont le tronc noueux recouvert d’une trop épaisse écorce qui se détachait, lui a fait dire qu’elle était morte, afin de justifier définitivement son abattage et l’achèvement des travaux de « réhabilitation ». On publiera les photos de la place bien nette sur le site de la Mairie de Paris. Tous les élus sont avant tout soucieux de montrer à leurs administrés qu’ils font quelque chose. On ne compte pas, depuis la première élection d’un Maire à Paris, le nombre de places, de recoins, d’élargissements de trottoirs qui ont été pavés ou dallés avec parfois l’ajout d’un bac à fleurs ou d’un nom pour honorer une personnalité récemment disparue. Parfois, c’est un jardin public qui s’est vu transformé en simple allée piétonne par la pose de pavés. Une allée n’offre pas la même sécurité aux usagers des espaces verts, notamment les parents avec enfants, qu’un jardin fermé.

Tout ça pour dire qu’il y a une belle continuité dans la politique des espaces verts suivie par la Mairie de Paris depuis 1977. De toute évidence, ce n’est pas une priorité, surtout si, comme c’est le cas ici, ce n’est pas une création qui s’intègre dans un projet d’urbanisme ou même de requalification. Comme dans bien des communes, on fait quelque chose pour montrer qu’on fait quelque chose. Le plus spectaculaire et le moins coûteux consiste à abattre les arbres, forcément vieux, et à dégager la vue. Ça fait de belles photos. Quand le Conseil Municipal penchait à droite, on invoquait la sécurité : risque de branche qui tombe. Quand c’est la gauche qui commande, elle ne manque pas d’avancer des arguments scientifiques enveloppés dans un langage bien choisi pour coller à l’air du temps et en mettre plein la vue. On retrouve aussi dans cette abattage, une démarche très jospinienne consistant à détruire ce qui marche bien et dont personne ne se plaint pour montrer qu’on agit, surtout (mais ce n’est probablement pas le cas ici) si ça met en valeur un copain ou un proche du pouvoir en place. C’est la démarche qui prévaut à la volonté de construire des tours manhattaniennes, qu’on voit dans le monde entier, de peur de transformer Paris en ville-musée, comme si c’était l’horreur absolue. Or, justement, Montmartre est le symbole même de la soi-disant ville-musée, avec ses vieilles maisons, ses anciens ateliers d’artistes où les plus grands, mondialement reconnus, ont débuté, ses ruelles pittoresques, ses monuments remarquables. Tout ce que récuse la Maire de Paris est concentré à Montmartre et l’abattage de la vieille glycine et de l’autre arbre qui contrariaient un beau pavage confirme cette détermination. Une majorité municipale ne peut pas se prévaloir du charme des vieux quartiers, ni des monuments historiques car les bénéfices électoraux tirés de leur simple entretien sont moindres que ceux d’un plan d’urbanisme associé à quelques grands noms du moment. On préféra tout casser pour faire place à des tours aux pieds desquels, bien entendu, on aura pris soin de planter quelques arbustes au milieu des dalles. Ouf, la touche écologique est préservée !

 

La politique menée par la Maire, Mme Hidalgo est un condensé de toutes les contradictions que traversent les écologistes français : lutte contre la pollution, lutte contre l’automobile thermique, souci de montrer qu’on est capable de gouverner en donnant des gages au capital, marche forcée vers le tout électrique nucléaire, construction de tours de bureaux (quand on sait tous les bureaux vides), souci d’exister quitte à faire perdre leurs alliés etc. Bien entendu, la communication de la Mairie de Paris ne porte pas sur l’abattage des arbres, ni sur « l’artificialisation » (pose de dalles par exemple) de terrains en herbes ou d’allées naturelles. En revanche, elle annonce comme un exploit à réaliser, le projet en cours d’installer des jardins potagers sur les terrasses de Paris pour y produire des légumes bio (forcément) dans une démarche de circuits courts et de développement durable. Quand on sait que la capitale connaît des pics de pollution à répétition depuis quelques années, alors même que les moteurs consomment moins et polluent moins du fait, notamment, de l’amélioration des carburants, on peut se poser des questions sur la qualité bio des futurs légumes. Quoi qu’il en soit, on voit bien là l’absurdité des politiques depuis quelques temps. Au cours de la campagne pour les municipales de l’an dernier, des candidats proposaient de transformer des gares en espaces verts et de le repousser les installations ferroviaire sur les terres encore cultivées ou boisées (vue que les autres sont déjà occupées) de la proche banlieue. Autrement dit, le vert, les cultures, les arbres, ne valent que si on les plante, que s’ils correspondent à une ligne de budget, que s’ils font l’objet d’une campagne de communication. Il est bien évident qu’un élu ne va pas se prévaloir de ce qui a été fait avant lui. Tout au plus, arrivera-t-il à faire passer ça dans un plan général de « préservation » du patrimoine mais le bénéfice escompté est moindre que dans l’annonce d’un plan de « reconquête » de l’espace accompagné de plantations, quitte à ce que les surfaces plantées soient inférieures à celles supprimées. Laisser les arbres où ils sont ne vaut rien comparé à la plantation spectaculaire d’un arbre là où il n’y en a jamais eu, même au prix de l’abattage d’autres à proximité. C’est aussi ce que mettent en avant les sociétés d’autoroutes qui annoncent fièrent être ceux qui plantent le plus d’arbres et arbustes chaque année. Ils ne disent évidemment pas combien de milliers d’hectares de terres arables ils ont goudronnées ni combien de centaines d’arbres fruitiers ou d’ornement, ils ont abattus. Où l’on voit bien que dans un pays comme la France, fortement marqué par le positivisme et le rationalisme, ce genre de tentation n’épargne pas le mouvement écologiste.

http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/03/01/17087192.html

Même pour ceux qui évoluent sincèrement dans cette mouvance, ce qui est naturel est sans valeur. Le naturel ne vaut que s’il est décidé et élaboré. L’arbre qui a poussé sur la grand-place et qui assure l’ombre et la fraîcheur relative aux beaux jours depuis plusieurs générations ne vaut rien. Il sera remplacé soit par de belles dalles qui donnent un aspect régulier et bien propre dans la tradition des jardins à la française, soit par de petites essences qui présenteront aussi l’avantage de rendre visible la politique de l’environnement qui est suivie. À l’heure de la communication, il est primordial de faire savoir.

glycine @ParisBiseArt 3D’ailleurs, consciente de la gaffe, non pas d’avoir tronçonné la vieille glycine mais d’avoir provoqué des réactions, la Mairie de Paris a annoncé qu’on va en replanter une, choisie parmi les plus développées de la serre. On espère ainsi qu’elle produira des fleurs dans les semaines qui viennent. Tout ça pour ça. N’aurait-il pas été plus simple de laisser celle d’origine continuer sa vie ? Certainement pas car il aurait été compliqué de l’inclure dans une campagne de communication sur la politique des espaces verts. Tandis que là, la Mairie de Paris pourra transformer une bévue en succès en montrant qu’elle a offert aux Parisiens une nouvelle glycine.

Alors, il est bien évident que je n’aurais pas réagi au tronçonnage d’une glycine, fût-elle centenaire, dans une autre ville. Celle de Montmartre revêt une valeur sentimentale évidente mais, comme cette valeur est largement partagée, elle ne peut pas être négligée. Où l’on voit que malgré le positivisme, malgré le modèle industriel qui fait mépriser la nature, malgré la vie citadine désormais la norme, la plupart des gens sont attachés aux arbres, arbustes qui forment leur environnement et qui les relie à une chaîne de vie beaucoup plus solide que les artifices de la société de consommation.

 

 

Sur Paris, on relira :

Municipales à Paris : demeurer malgré tout

Municipales à Paris : les rats de laboratoire

 

les photos sont extraites de

https://paris-bise-art.blogspot.com/2021/03/la-glycine-de-la-colere-chez-plumeau.html

 

* sources :

https://www.parisdepeches.fr/2-Societe/128-75_Paris/14796-Une_glycine_manque_Montmartre_est_devaste.html

https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/polemique-apres-l-abattage-d-une-glycine-centenaire-par-la-mairie-de-paris-a-montmartre_40364845.html

https://www.leparisien.fr/paris-75/la-plus-belle-vigne-paris-disparait-18-03-2021-8429058.php

 

(notons que l’assistant web du Parisien confond vigne et glycine qu’il ne doit pas connaître)

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