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101e km
5 mars 2021

Emmanuelle affole encore les masques et les plumes

Je m’étais promis de ne plus commenter « Le Masque & la Plume » sur Inter et je déroge souvent car ce qui me fait sortir de mes gonds, relève à chaque fois de l’abus de position culturelle dominante. Ces gens qui sont quasiment tous âgés de 50 ans et plus – bien plus pour les plus anciens que j’écoute depuis à peu près 45 ans – paraissent faire autorité, en raison de leur connaissance des sujets traités. Pourtant, j’ai déjà fait remarquer que la plupart des précisions apportées par l’un ou par l’autre figure dans le dossier de presse qu’ils reçoivent. C’est ainsi que l’un d’eux peut mentionner la présence d’un technicien au générique alors même qu’aucun d’entre eux ne le regarde, tout occupés qu’ils sont à commenter à chaud, avec leurs voisins immédiats, tout en remettant leurs manteaux. Un autre se chargera d’évoquer le contexte historique du film ou les contraintes du réalisateur. Voici pour le point de départ.

En ce moment, covid oblige, ils ne sortent plus beaucoup et en profitent pour critiquer les vieux films sortis en DVD. C’est ainsi qu’ils ont parlé de fameux « Emmanuelle ».

https://www.franceinter.fr/emissions/le-masque-et-la-plume/le-masque-et-la-plume-24-janvier-2021

Rappel des faits pour les plus jeunes ou les vieux oublieux : il s’agit d’un film érotique qui a obtenu une couverture médiatique démesurée à sa sortie en 1974 et donc, un énorme succès. Il faut rappeler que sur les Champs-Élysées à Paris, le cinéma « Le Triomphe » l’a maintenu à l’affiche pendant 12 ans. 1974, c’est l’élection de Giscard à la Présidence de la République et le film en a bien profité. En fait, le succès correspondait à une envie de défoulement après tant d’années de censure et de honte à aller voir ce genre de films. Certes, ce n’était pas « l’état de grâce » de 1981 mais un vent frais soufflait et la France respirait. Enfin, on sentait qu’on entrait dans la modernité. Finie la vieille bourgeoisie conservatrice au pouvoir et une nouvelle génération détachée des vieilles contingences pouvait croire qu’elle prenait le pouvoir et allait tout changer sans tout casser. Le changement dans la continuité, slogan de la campagne victorieuse ne disait pas autre chose. On change mais sans bouleversement.

Quelques années plus tard, le journaliste Jean-François Kahn, passé sur France-Inter, ironisait sur le succès de ce film. Il rapportait qu’on y allait en famille. Ça a dû arriver malgré l’interdiction au moins de 18 ans mais on ne devait trop rien dire puisqu’on sentait que les choses bougeaient et qu’on n’allait plus revenir en arrière. En tout cas, on y allait en couple et toutes les générations se sont précipitées. Signe des temps, l’affiche montrait l’actrice principale incarnant le rôle titre, seins nus, dans un fauteuil en rotin. Personne pour s’offusquer. On voyait peu de nudité sur les affiches. Il y avait bien eu « Fellini Roma » quelques années avant mais « Le Dernier Tango à Paris » proposait une affiche sobre, très éloignée de sa réputation sulfureuse. « Emmanuelle » a inauguré une ère nouvelle pour le cinéma et l’affiche de cinéma. Rien n’a plus jamais été comme avant.

Le DVD sort dans un contexte très particulier. Outre la pandémie, la cérémonie des Césars de 2020 a marqué aussi une rupture. Des femmes ont protesté contre l’attribution d’un Prix à un cinéaste accusé de mœurs répréhensibles. L’académie a été dissoute, une autre l’a remplacée pour soutenir des films qui montrent une image positive des femmes. « Emmanuelle » raconte la découverte par une Européenne de nouveaux plaisirs en Thaïlande. Elle rencontre des hommes qu’elle intéresse beaucoup mais aussi des femmes. Parmi ces nouvelles relation, un bonhomme de grande classe joué par Alain Cuny qui énonce, tout au long du film, un certain nombre de principes considérés alors comme les nouveaux canons de l’érotisme, sans tabou social ou sexuel.

 

Les critiques du M & P, conscients de leurs âges et soucieux de coller à l’air du temps ont descendu le film de manière subtile en se moquant. C’est beaucoup plus efficace que d’expliquer pourquoi on dézingue. Les mêmes qui ont applaudi à « La Belle Noiseuse » autrefois et à « La Vie d’Adèle » plus récemment, ont déploré les scènes dénudées (rappel : le film n’est pas tout public contrairement aux 2 autres cités). Ils débitent comme un catéchisme les formules en vogue : le film montre une image dégradante de la femme. C’est un film d’hommes. À notre époque, être un homme, surtout s’il est Blanc et hétérosexuel est la pire des tares sociales. Le problème, c’est que le film est une adaptation d’un livre éponyme écrit par Emmanuelle Arsan ; une femme donc, qui ambitionnait d’écrire un traité d’érotisme moderne. Ainsi, le personnage, joué par Cuny au cinéma, se fait le porte-parole des aspirations d’une génération de femmes à la liberté sexuelle. On peut les contester mais force est de reconnaître que ce sont là des propos de femmes et une revendication du plaisir féminin. De ça, les critiques du M & P n’en parlent pas. Tout comme ils se moquent des films de Pagnol dont ils ne retiennent que l’accent marseillais, ils ne parlent que des scènes dénudées qui ont assuré le succès du film. Vient ensuite la critique de la distribution. On passe assez rapidement sur Sylvia Kristel qu’on a peu vu en dehors de la série des « Emmanuelle » et qui est morte d’un cancer. On s’étonne de la présence de Christine Boisson, dont c’était la première apparition à l’écran dans un rôle de starlette. Des années plus tard, elle aura l’occasion de jouer dans des films de qualité et d’être bien vue par la bien-pensance ; d’où l’indulgence du M & P. Quant à Alain Cuny, il s’en prend plein la figure. Que fait-il là-dedans ? On peut penser que, comme les autres, il fait son métier, bien heureux qu’on ait pensé à lui. Le phrasé de Cuny, son âge, tranchent avec les autres personnages. Justement, il représente la caution intellectuelle du film. Des critiques affirment que depuis « Les Visiteurs du Soir », il a toujours mal joué. Bien entendu, aucun ne précise qu’il a fait une carrière intéressante en Italie, en Amérique du sud, qu’il a joué avec les plus grands dont Fellini, Rosi. Ça ne doit pas figurer dans le dossier de presse, donc les critiques l’ignorent et se remémorent quelques souvenirs personnels aussi évanescents que ceux du grand public qu’ils prétendent tout de même éclairer de leurs connaissances. Alain Cuny a terminé sa carrière sur les planches en lisant des extraits des livres qu’il aimait. Il remplissait la salle tous les soirs et ça a duré. Pour quelqu’un qui joue mal… Il apparaît peut-être pour la dernière fois dans « Camille Claudel » où il joue à la fois le père des Claudel célèbres et son propre rôle puisqu’il lit à Camille Claudel (sublime Isabelle Adjani) des pages écrites par son frère Paul, devenu diplomate et écrivain. La semaine suivante, M. Jérôme Garcin en remet une couche en lisant un extrait d’une lettre d’auditeur qui insiste sur l’aspect colonialiste de ce film. Les critiques approuvent mais avouent n’avoir pas voulu en rajouter, tant ce film mauvais. Il est vrai que le « M&P » n’aime rien tant que les films qui n’ont pas de succès et détestent ceux qui ont rencontré le goût du public.

 

CC 32Si je m’étends autant sur cette émission, c’est parce que je me dis que si j’étais lycéen en ce moment et que j’écoute (peu probable) Inter et « Le M&P » , je n’aurais d’autre choix que de prendre ce débat pour argent comptant. Je serais convaincu que Cuny a toujours été un mauvais acteur et que ce vieux film est sexiste et colonialiste. En d’autres termes, quand on n’a pas soi-même une connaissance du sujet traité, on ne peut faire autrement qu’accorder crédit à des personnes qui prétendent faire autorité. Il en va dans tous les domaines. Avec un peu d’expérience, on accorde sa confiance à quelques experts dont les argumentations ont convaincu dans le passé mais, comme on ne peut être omniscient, on n’a aucun moyen de vérifier que l’expert ne se trompe pas, même de bonne foi. En cette période troublée, on doit subir quotidiennement des échanges, des propos sur la pandémie. Ce qu’on croyait avoir compris est battu en brèche la semaine suivante. Dans le domaine sociétal, chaque semaine apporte ses révélations sur une personnalité connue. On monte les gens les uns contre les autres à tout propos et à tout bout de champ. Le néo-féminisme affirme que les femmes ne doivent plus être les victimes silencieuses et qu’elles ont droit au respect. Le problème c’est que, selon les cas, selon d’où vient l’émetteur, il sera reçu pour des faits identiques avec approbation ou sévèrement réprimandé. « La Vie d’Adèle », par exemple, où les techniciens et les deux actrices principales se sont plaintes des méthodes du réalisateur est exempt de toute critique. Il coche toutes les cases de la bien-pensance. Point-barre ! Les images gentillettes dans « Emmanuelle », sans gros-plan (contrairement à « La Vie d’Adèle »), un peu désuètes sont interprétées comme une marque de l’exploitation de la femme à une époque révolue. Un lycéen d’aujourd’hui, formaté par le prêt-à-penser, ne pourra qu’adhérer au discours dominant. Certes, ça a plus ou moins toujours été le cas mais, au moins, n’y avait-il pas cette recherche d’unanimité qui fausse les débats et conduit à disqualifier toute opinion divergente. On comprend en écoutant les échanges du « M&P » (choisi parce que c’est la plus vieille émission du genre) que l’animateur amène les critiques à un point de vue qui sera celui de l’émission tandis que les altercations condamnent rapidement l’opinion discordante.

Bien sûr, tous les auditeurs n’ont pas l’âge qui permet de faire le tri et encore moins la capacité de déceler les erreurs et, pire, les manipulations. Encore une fois, nul n’est omniscient. En revanche, ce genre de propos qui vise à influencer et renforcer la pensée unique est perçu par tous. Comme on ne peut pas toujours faire la part des choses, il en ressort un climat de suspicion générale qui ouvre la porte à toutes les rumeurs, tous les bobards qui paraissent critiquer un système médiatique de plus en plus éloigné de la réalité vécue par la plupart d’entre nous. Ce climat malsain conduit à monter les uns contre les autres et entretien un climat prémonitoire de guerre civile.

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Commentaires
J
"Le Masque et la Plume" c'est pour moi un trrrrès vieux souvenir de radio où prédomine le verbe pittoresque d'un Charensol. A part ça, je suis étonné, d'une, que cette émission existe encore, de deux, qu'on y évoque la sortie du DVD du film "Emmanuelle", DVD qu'il me semble avoir vu des dizaines de fois dans les bacs des marchés aux puces et des vide-greniers. Ou ma mémoire me joue des tours. <br /> <br /> <br /> <br /> 1974... Il en fallait peu pour faire scandale à cette époque-là, d'autant que le scandale était bienvenu, il faisait frémir dans les chaumières et émoustillait ces dames des salons bourgeois qui, avec force hochements de leurs permanentes apprêtées, se plaisaient à intellectualiser ce qui était au bout du compte de la distraction voulue transgressive, bien dans l'air du temps. <br /> <br /> <br /> <br /> Les scènes déshabillées n'étaient pas rares dans la cinématographie de cet âge d'or de l'érotisme sur pellicule, les grands cinéastes italiens en étaient coutumiers et les nôtres ne dédaignaient pas les scènes un brin osées qui nous donnaient à admirer la plastique admirable d'Annie Girardot, irréprochable d'une Mireille Darc, la nudité agressive et rebelle d'une Marie Trintignant adolescente dans "Série noire". "Bilitis" de David Hamilton et ses naïades post-pubères, "L'homme qui aimait les femmes" de Truffaut où l'érotisme est seulement suggéré. <br /> <br /> <br /> <br /> Ces films salissaient-ils l'image de la femme ? <br /> <br /> En tant que cinéphile, je pense exactement le contraire. Ils l'exaltaient, jusqu'à l'idéalisation parfois. L'égérie, la muse, la maîtresse, la libertine, la novice, la femme libérée du joug puritain qui la vouait aux rôles domestiques et matriarcaux. Souvenons-nous aussi des photos déshabillées de Marilyn Monroe, de celles à peine plus sages, de Diana Rigg les jambes haut croisées, loin de l'image de beauté froide et efficace de la partenaire du gentleman au chapeau melon et à l'inséparable parapluie Briggs. Celles de Brigitte Bardot. <br /> <br /> <br /> <br /> Le néo-féminisme actuel réduit l'image de la femme à l'efficacité et à l'autodétermination, l'homme étant envisagé par ses théoriciennes au pire comme un prédateur, au mieux comme un serviteur attentionné. Un faire-valoir. Un partenaire, au sens que ce mot a pris dans le vocabulaire entrepreneurial. <br /> <br /> Malheur cependant à ceux qui, parmi eux, se montreraient entreprenants. Le femme "se protège" de l'homme tapi en embuscade. Qui le lui rend bien. Il n'est qu'à lire les commentaires décoiffants dans la presse, stigmatisant l'incompétence de telle femme ministre connue pour avoir signé des bouquins érotiques, l'allure hommasse de telle autre ministresse de passage, les dépenses somptuaires de telle ex-ministre, encore, et ses opérations de chirurgie esthétique ; le verbe simpliste de telle chanteuse de R'n'B, les jambes haut croisées et les lunettes hors de prix de telle ex-épouse de tel ex-ministre passée des plateaux-télé au Conseil municipal de la ville de Paris, et les bouches de tanches de l'armada de chroniqueuses, éditocratesses, présentatrices, débatteuses, actrices et comédiennes sur le retour et au-delà du point de non-retour, passées par l'étape devenue obligée du Botox. <br /> <br /> <br /> <br /> Ces créatures-là servent-elles l'image de la femme ? <br /> <br /> Et de quelle femme parle-t-on ? <br /> <br /> De celle habilitée à s'exprimer dans les médias, qui gagne énormément d'argent à seulement se montrer et à dire ce qu'elle est payée à dire, chroniqueuse un jour, le lendemain animatrice, le surlendemain comédienne, cumulant les fonctions de journaliste, de metteure en scène, d'écrivaine, de parolière pour chanteurs et chanteuses jetables, qui ne produit pas grand chose dans les faits qui soit de nature à marquer le siècle, mais qui fait carrière dans ce type de production et qui se fera la porte-parole de cette doxa féministe en vigueur, vilipendant "La vie d'Adèle" ou au contraire portant aux nues cette œuvre, traitant Almodovar de génie, Pasolini de poète maudit sans jamais avoir en visionné autre chose que les bandes-annonces de ses films sur YouTube, incapable par ailleurs de livrer un point de vue éclairé sur la filmographie d'un Jean-Claude Brisseau et moins encore d'un Tinto Brass, dont les œuvres respectives pourraient questionner la cause féministe. <br /> <br /> <br /> <br /> Ces néo-féministes-là, que savent-elles de la femme de la rue que nous croisons chaque jour, la guichetière, la femme de ménage, l'employée précaire qui se tape des horaires coupés, la quinqua esseulée qui désespère de se retrouver un mec, la sexa qui hante les thés dansants, la collégienne en sève qui se rêve un destin de chanteuse de R'n'B, la mère au foyer, la chômeuse, la caissière de supermarché, l'épouse aimante comme il en existe tant quand les médias ne savent parler que des femmes castratrices qui tuent leur ménage et des victimes de tyrans domestiques. <br /> <br /> <br /> <br /> Celles qui ont droit de cité ne parlent que de ce qu'elles connaissent. Le modèle libéral de la femme qui se prend en main et qui va gravir les échelons de la réussite sociale parce qu'à la base, déjà, elle dispose d'atouts que n'a pas précisément celle qui se brise les reins dans un job pourri pour pouvoir se payer la formation qui lui permettra de conduire un car, d'intégrer le staff d'une boîte d'informatique, de simplement obtenir un travail mieux payé dans une grande entreprise. La femme qui se prend en main c'est celle, aussi, qui va accepter ces boulots qui n'en sont pas, où les charges et les frais seront pour sa pomme, où elle sera sa propre patronne sous l'égide d'un boss invisible, tenue de faire du chiffre sans promesse de salaire fixe. On en croise tous les jours qui tapinent dans l'immo ou toute autre machine à fric, bombardées négociatrices, commerciales, sans autre statut que celui d'auto-entrepreneuses. Success-women potentielles certes, mais il y a le quotidien à gérer. Peu importe, du moment qu'elles s'assument. <br /> <br /> <br /> <br /> Est-ce mieux, est-ce pire que l'ouvrière du textile des années soixante ? Que la bonne à tout faire de jadis dépendante des lubies du patron ? Que la petite vendeuse en CDI à temps partiel de godasses, de fringues, de pains au chocolat, de contrats jetables à Pôle-Emploi, de connexions fibrées chez Orange ? Est-ce mieux, est-ce pire que la femme qui lâche son job, ou n'en cherche plus, pour s'occuper d'élever ses mômes ? Le salaire sera toujours inférieur à celui du collègue de sexe mâle. Et à ce propos, on n'entend guère s'exprimer nos néo-féministes. Du moment que la femme de ménage de confession musulmane a gagné le droit de tirer sa journée recouverte d'un tchador, l'honneur est sauf.
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