Capitole : les conséquences de l'inculture
Les faits sont là, les commentaires ont suivi d’autant plus rapidement que les rédactions possèdent encore les coordonnées des spécialistes invités sur les plateaux pour commenter l’élection présidentielle aux É-U. Par conséquent, essayons de voir un peu plus loin ou, plutôt, de voir les causes probables qui ont permis à cette situation inédite en démocratie de se réaliser.
Si l’on regarde bien l’électorat de Trump, nous avons l’impression d’avoir affaire à des enfants gâtés qui n’ont pas l’habitude de connaître la frustration mais qui sont d’autant plus persuadés que tout leur est dû parce qu’ils ont été nourris paradoxalement et de manière tout à fait irrationnelle de discours sur le mérite qui vient après des efforts personnels. Ce qu’on appelle ici le « rêve américain » glorifie le travail personnel récompensé par un système qui donne sa chance à tout le monde et qui tient dans cette formule : « de la cabane en rondin à la Maison-Blanche ». Trump symbolise plus que tout autre personnalité ce parcours fait de volonté et de chance saisie. À travers lui, nombre de personnes se sentent représentées et un peu de la finalité promise rejaillit sur eux. Le rêve commun à nos sociétés médiatiques tient dans l’espoir de passer à la télévision. Il peut se résumer par : si elle se montre à la télé, pourquoi moi aussi. Depuis une trentaine d’années, nombre d’inconnus qui ont crevé le petit écran se sont trouvés propulsés sur le devant de l’actualité, ont vu les portes s’ouvrir et les carnets de chèques sortis pour eux. Aux É-U, le rêve suprême est de parvenir à la Maison-Blanche et après Hollywood, supplanté depuis par les séries, c’est la télévision qui peut propulser une de ses vedettes. L’essentiel est d’y parvenir. Les charges et responsabilités inhérentes aux fonctions présidentielles ne sont que des contraintes d’emploi du temps entre deux apparitions sur le petit écran ou une réaction sur Twitter ; encore plus petit écran, celui du smartphone que chacun garde au plus près de soi et ce n’est pas anodin. Quant au travail qui demande des compétences pointues, pas de problème puisque la puissance offre la possibilité de le faire effectuer par des gens dont c’est le métier. Par conséquent, l’enfant gâté, vedette de la télévision peut se consacrer entièrement à la jouissance, rêve de tout enfant.
Dans ce tableau, on voit qu’aucune autre compétence n’est requise à part le culot qui pousse à vouloir se montrer aux caméras et à dépasser en notoriété puis en moyens les malheureux qui continuent à étudier pour tenter de décrocher un boulot convenable. À quoi bon étudier puisqu’il existe désormais des moyens de prendre tout le monde de vitesse et de le dépasser ? L’inculture qui est le corollaire d’études peu poussées façonne une mentalité où la réflexion tient peu de place au profit de l’émotion et de son expression binaire : j’aime/j’aime pas ; c’est bien/c’est pas bien (mal oblige à connaître un mot de plus) ; c’est beau/c’est pas beau. Il n’est évidemment pas interdit de changer d’avis et Trump a montré pendant quatre ans qu’il peut en changer d’une heure à l’autre sans que ça lui pose le moindre problème et sans que ses admirateurs n’y trouvent à redire. Il a raison, parce qu’il est Trump. Nulle besoin d’analyse compliquée et encore moins d’argument, il suffit de trouver les mots justes pour toucher l’affect et l’on peut émettre une opinion ou prendre une décision. Orwell a montré par quel processus on peut convaincre une foule, une population entière que 2 + 2 font 5. Il suffit d’entretenir une population dans l’ignorance, de réduire son vocabulaire et donc la possibilité de formaliser des réflexions, de flatter les émotions, de proposer des divertissements simples pour obtenir qu’elle nie le factuel, les preuves, l’évidence et qu’elle soit convaincue, comme Trump, que la vérité n’est qu’une opinion parmi d’autres surtout si chacun estime avoir le droit de contester les compétences et l’autorité des personnes de référence. Nous l’avons vu au cours du premier confinement quand les humoristes se permettaient de mettre en cause des sommités reconnues mondialement parce que leur apparence physique prêtait à la moquerie.
Si nous nous intéressons tant à ce qui se passe outre Atlantique, ou plus précisément, en Amérique du nord car le reste n’existe pas, et même encore plus précisément aux États-Unis d’Amérique, c’est parce que, généralement, ce qui se passe là bas finit par arriver ici, avec des mois ou des années de retard. La France a découvert, il y a quelques années, les régulateurs de vitesse montés en série sur toutes les voitures dès les années 1970s. Par conséquent, il n’est pas absurde de penser qu’une foule pourrait, ici, contester violemment le résultat d’un scrutin national. En tout cas, les moyens, la logistique pour y parvenir existent déjà et sont en place. La télévision est omniprésente et plus seulement autour du cercle familial mais dans la poche de chacun, contre son cœur. L’ambition suprême de passer à la télévision est au moins aussi forte ici. Nul besoin d’avoir des connaissance pour participer à un jeu où il suffit de connaître le titre d’une chanson ou de savoir le prix d’un paquet de biscottes ou quel est le monument le plus haut de Paris pour gagner quelque chose mais surtout être vu. Afin d’éviter un nouveau Mai 68 et surtout un nouvel « état de grâce » suite à une victoire de la gauche aux élections, les gouvernements de droite et de centre-gauche qui ont alterné, ont diminué la part des humanités dans les études obligatoires pour en arriver à la suppression de la dissertation de culture générale qui exigeait un bagage culturel minimum et une capacité d’argumentation désormais impensables. Ça a libéré du temps pour le divertissement sous couvert « d’éveil ». Ainsi, se sont développées depuis plus d’une trentaine d’années des tranches d’ages d’enfants gâtés, convaincus de suivre des études dures dès qu’on leur demande de justifier une réponse et bien persuadés que tout le leur est dû, à commencer par l’obtention d’un baccalauréat, juste récompense pour ces années de présence à l’école alors qu’ils avaient mieux à faire ailleurs. Aux expression binaires déjà mentionnées, s’ajoutent une autre, typique des enfants et des adolescents de France : j’ai le droit / vous n’avez pas le droit. La notion de droit entre peu en jeu ici mais exprime simplement tout ce qui va dans le sens de ses intérêts ou qui les contraint ; et là, on rejoint la démarche de Trump et de ses admirateurs. Mon intérêt, c’est de gagner et tout ce qui contredit relève de la fraude et de l’illégalité : vous n’avez pas le droit. L’immaturité de l’enfant gâté apparaît jusque dans l’issue des événements du capitole puisque Trump, sans reconnaître ses torts ni sa défaite électorale, décide d’appeler au calme après que les principaux réseaux sociaux ont décidé la suspension de ses comptes, tout comme un adolescent qu’on prive de sa console de jeux.
Autrement dit, l’arrivée d’un Trump dans un pays comme la France ne relève plus de l’absurde puisque les principales conditions sont déjà réunies, à savoir une baisse du niveau culturel, une jeunesse victimaire qui attend ce qu’elle exige comme son dû, la recherche du divertissement comme idéal de vie. Les années à venir vont voir des cadres sortis de grandes écoles ou tout simplement des études secondaires sanctionnées par un examen où « le grand oral » sera prépondérant. Les futurs décideurs seront ceux qui auront su le mieux séduire les examinateurs, comme dans les concours de chansons à la télévision, ceux qui auront le plus de bagout. Dans une récente émission de radio, on a mis en exergue le propos d’un invité qui se vantait d’avoir réussi en ces termes : « Je pense que dans la vie il faut 80% de culot et 20% d’idées. ». Dans ces conditions, un Trump peut fort bien émerger et prendre le pouvoir. Il présentera l’avantage de plaire aussi aux générations plus âgées qui demandent plus d’ordre. En France, Trump est impopulaire dans les médias mais une partie de la jeunesse l’admire et les principales critiques adressées par ses contempteurs portent surtout sur son prénom connu uniquement en dehors de la sphère anglo-américaine pour être porté par un personnage de dessin animé. Dans ces conditions, il n’est pas inenvisageable qu’un dirigeant comme Trump parvienne au pouvoir en France.
J’ai le droit :
https://www.albin-michel.fr/ouvrages/generation-jai-le-droit-9782226398215
L’inculture :
Diplômes Nettement en Baisse (DNB)
Les preuves d'inculture générale
La langue pour survivre (expression et exclusion 3)
Diplômes Nettement en Baisse (2)
« 80% de culot et 20% d’idées. » :
Trump :
https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-jean-marc-four?p=2
https://www.franceinter.fr/emissions/le-monde-d-apres/le-monde-d-apres-06-janvier-2021