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101e km
25 septembre 2020

Juliette Gréco

Je ne pensais pas écrire sur la mort de Juliette Gréco. Le personnage ne m’a jamais plu ni même intéressé quelles que soient ses qualités d’interprète. Rien de ce que j’ai lu sur elle, pourtant toujours élogieux, ne m’a convaincu. Au contraire, j’y voyais un personnage hors du temps, hors de la réalité, prétentieux et conscient de sa réputation. Le dernier clou a été enfoncé après avoir vu chez des amis une émission où M. Michel Drucker recevait la chanteuse et passait un reportage effectué chez elle. Son bureau venait d’être rangé par son employée, croyant bien faire avant l’arrivée des caméras. Elle s’est mise en colère et la séquence a été écourtée. On passe vite à autre chose, un autre plan, une autre vue de la propriété, du jardin etc. C’est à la façon de traiter le petit personnel qu’on voit la véritable personnalité de quelqu’un.

 

La chronique de François Morel, en ce vendredi 25 septembre 2020 m’a éclairé sur un autre aspect. La thèse qu’il développe, c’est que « le 20e siècle est précisément mort en 2020 »

https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-francois-morel/le-billet-de-francois-morel-25-septembre-2020

On peut, en effet le penser. C’était la dernière de cette génération de chanteurs à textes, servis le plus souvent par de belles musiques, montrant qu’on peut être populaire, s’adresser au grand public avec des mots qui font réfléchir sans ennuyer ni culpabiliser et sans insulter personne. Le chansonnier a cité les noms de Ferré, Brassens, Brel, Béart, Gainsbourg, tous morts à la fin du siècle dernier. On pourrait ajouter Ferrat, Reggiani, Moustaki, Clay, Bécaud, Magny, Sauvage, Aubret, Mouloudji, Frères-Jacques, Barbara...

grécoAu temps de la splendeur de Gréco, le Quartier Latin, qui jouxte Saint-Germain-des-Prés, était encore latin, c’est à dire étudiant avant d’être livré aux marchands de fringues et aux restaurants. Depuis le début de ce siècle maudit, on cherche en vain une librairie sur les deux axes perpendiculaires constitués par le boulevard Saint-Germain et le le boulevard Saint-Michel, le Boul’Mich des étudiants où Mitterrand avait voulu marquer son intronisation au printemps 1981. Ça paraît une éternité. Gréco, prêtresse du culte existentialiste qui se célébrait à Saint-Germain, avait passé l’âge de vestale depuis longtemps mais elle résistait bien et entretenait l’illusion. Ce qui était remarquable dans cette époque, c’est qu’il y avait ce mélange d’exigence intellectuelle et de divertissement. On était après l’occupation et le populo avait besoin de se défouler. Il découvrait une musique apportée par les soldats d’outre-Atlantique et l’adoptait. On parle des caves de Saint-Germain où des musiciens français se sont approprié ces rythmes. On parle de Boris Vian, ingénieur, écrivain, qui voulait pénétrer la musique de l’intérieur, Claude Bolling et tant d’autres mais je voudrais surtout citer Claude Luter associé à Sidney Bechet. Quant à l’exigence intellectuelle, en ces temps de doutes et d’espoirs tourmentés par la guerre froide, elle était incarnée par le couple Beauvoir-Sartre, Prévert, Queneau, beaucoup d’autres et, le meilleur d’entre eux, Albert Camus qui, bien que portant l’habit à l’Académie Nobel de Stockholm, n’oubliait jamais qu’il venait des ruelles d’Alger. Tous ceux qui, venant du peuple, ont côtoyé des intellectuels ou des cadres, ont ressenti qu’ils n’étaient jamais vraiment accepté et que, à la moindre occasion, on les remettait à leur place.

Quoi qu’il en soit, si le 20e siècle n’a pas pris fin au début de l’automne 2020, une certaine idée de la culture est définitivement enterrée avec Juliette Gréco. Dans quelques jours, on aura droit au « dernier hommage » rendu à la chanteuse avec les habituels témoignages de ceux qui l’ont connue et des anonymes qui se sont déplacés. La télévision montrera les badauds accourus pour voir le gratin et se dire qu’ils paraissent plus vieux que sur les photos. Un peu plus tard, la Mairie de Paris, suivie d’autres, débaptisera une place (ou une rue) pour la lui attribuer. Ça tombe bien puisque le nombre de femmes honorées demeure dérisoire. Le problème, dans un vieux pays comme le nôtre, c’est que les centres de nos villes sont déjà tous nommés. Depuis des dizaines d’années, la Mairie de Paris met des panneaux inaugurés en grande pompe à des carrefours, des trottoirs élargis, des impasses devenues rues, faute d’emplacements honorables. Éluard, Coluche, Arendt, Abbé-Pierre, Veil, ne sont l’adresse d’aucun particulier ni d’aucune entreprise ou administration. Gageons qu’on trouvera mieux pour une femme célèbre comme Juliette Gréco. On verra alors un aréopage féminin, dirigé par Mmes Bachelot et Hidalgo, levant la tête avec admiration devant la plaque toute neuve, bleue cerclée de vert, comme il se doit à Paris.

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Commentaires
J
La très bourgeoise Gréco en compagne de route du Parti communiste, Ferrat qui n'a guère connu l'usine, Montand qui l'a très peu fréquentée, Ferré châtelain dans le Lot puis gros propriétaire terrien en Toscane... <br /> <br /> L'homme n'avait pas la réputation d'être facile à vivre ni à aborder. Pas plus que Gréco, Montand, Desproges... ressortissants du-monde-de-l'autre-côté-de-l'écran, un petit monde où l'on est célèbre et où l'on côtoie essentiellement des gens célèbres et celles et ceux qui sont à leur service, ou vivent à leurs crochets, attachés de presse, journalistes, agents... <br /> <br /> Comment pourrait-on, ainsi, "vivre un peu comme tout le monde"' ? <br /> <br /> La réalité de la rue, rejetée par Desproges, Jean Bertho, Guy Pierauld, que tu cites, n'est-ce pas précisément ce que tout un chacun rêve de fuir pour l'intérieur capitonné d'une riche berline en partance pour un vase clos où les chiottes sont toujours clean, la cuisine nette, le salon vaste et bien chauffé, les fins de mois assurées, où des gens attentionnés sont là pour assurer les besognes triviales qui composent l'ordinaire du quidam ? <br /> <br /> La vie d'artiste, en somme... La contemporaine Olympe. La fabrique de rêves.
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S
C’est vrai qu’on a tendance à être exigeant avec les personnalités qu’on admire, en oubliant que, comme tout les monde, elles ont leurs faiblesses et même leurs parts d’ombre. Nous vivons une époque de recherche de pureté absolue et je m’étonne de n’avoir encore rien écrit là-dessus tant c’est perceptible dans la vie publique et que ça se répercute sur la vie privée parfois. <br /> <br /> <br /> <br /> J’ai été souvent agacé par Juliette Gréco, non pas comme interprète mais dans sa manière de parler de son métier et surtout d’elle-même et de ce qu’elle prétendait faire. Le comble aura été, pour moi, cette phrase : « Je suis très en colère » après avoir constaté que son bureau avait été rangé pour la télévision. Dans « Bagdad Café », Brenda s’insurge contre sa cliente bavaroise qui, croyant bien faire aussi, avait imposé l’ordre allemand dans le joyeux boui-boui de ce motel au milieu de nulle part. Finalement, Brenda déjà hostile à cette intruse, laisse tomber et trouve un avantage à ce rangement. En revanche, je reproche à beaucoup d’artistes d’entretenir une image en public qui est le contraire de ce qu’ils sont dans la vraie vie. Je me souviens avoir vu tourner, près de la Gare de l’Est à Paris, le comédien Guy Pierauld avec ses acolytes de l’émission « C’est pas sérieux », de Jean Bertho. La séquence était drôle mais sitôt finie, les visages se fermaient, les voix de Bunny et ses amis exprimaient l’agacement de se trouver sur la voie publique, au milieu des badauds et l’on sentait qu’ils n’avaient qu’une seule envie, c’était d’en finir et de rentrer. J’évoque quelques fois Pierre Desproges, imbuvable dans le quartier que j’ai partagé un temps avec lui quand j’étais étudiant, au point que chacune de ses sorties dans le parc des Buttes-Chaumont devenait pour lui une épreuve car tous les gamins l’avaient pris en grippe après que nombre d’entre eux aient été rabroués pour avoir tenté de l’approcher. Ça donnait dans les meilleurs des cas : « Eh, Cyclopède ! Étonnant, non ? ».<br /> <br /> Ça la fiche encore plus mal quand la personnalité se prétend de gauche et est encensée par la gauche. Personnellement, je ne reproche pas aux artistes de bien gagner leur vie, au contraire, ça devrait être la norme. Je leur reproche encore moins de profiter de leur argent pour vivre à leur guise. L’argent, ça sert à ça. Nombre d’entre eux illustrent cet adage selon lequel « Mourir pour le peuple, oui ! Vivre avec, jamais ! ».<br /> <br /> <br /> <br /> Belphégor, je l’ai vue dans les années 1980 quand c’est repassé à la télévision et ça ne m’a pas plu. Je n’en garde aucun souvenir. Quand je pense que j’entendais, à sa sortie, des gens avouer qu’ils n’osaient plus aller au Louvre de peur d’y croiser cette créature. Beaucoup de films et plus encore de feuilletons (on dit « mini-série » aujourd'hui) et de séries pour la TV vieillissent mal. Belphégor en fait partie. Quand je pense que, dans les années 1970, des associations s’insurgeaient contre la violence des « séries américaines », incommensurable, d’après elles. Étaient visées les « Mannix », « Mission : impossible », « UNCLE » et autre « Mystères de l’ouest ». Elles paraissent enfantines comparées à ce que j’ai pu voir ces dernières années. C’est bien la fin d’un monde qui a été célébrée avec la mort de Gréco. Effectivement, on n’en pas parlé longtemps ; comme si, finalement, elle était déjà morte depuis longtemps ou, du moins, dans un autre monde aussi étranger aux générations montantes que l’au-delà. Tout va très vite et de plus en plus vite. Un événement en chasse un autre. Ce n’est pas nouveau mais c’est plus rapide. Qui connaissait encore Gréco puisque tous les autres sont morts avant elle et que pour ceux qui en avaient entendu parler, elle était déjà vieille quand ils fréquentaient le lycée et découvraient que ces glorieux anciens, s’ils n’étaient pas vraiment modernes produisaient de bien belles choses ? <br /> <br /> <br /> <br /> Léo Ferré demeure celui que j’élève au pinacle envers et contre tout. Un humain ne saurait être parfait ou simplement monolithique. Ce qui m’interroge et me pose problème, c’est qu’il ne parle jamais que de son fils Matthieu. Pourtant, il a eu deux autres enfants avec Marie-Christine mais il n’en parlais jamais et, aujourd’hui, c’est encore Matthieu qui gère l’héritage, selon le vœux de son père qui voulait qu’il n’ait jamais de patron. Il passe son temps à rechercher les documents, les perles, à les présenter et les éditer. Il donne son aval à tous ceux qui veulent interpréter ou rendre hommage à son père ; ce qui donne des résultats généralement catastrophiques mais le chanteur se prévaut de la caution de Matthieu et le public resté fidèle applaudit par principe tandis que le public visé ne comprend pas. Léo Ferré avait monté un atelier d’imprimerie car il aimait l’odeur de l’encre et du papier mais l’huile d’olive puis le chianti ont bien augmenté le patrimoine familial. Je ne lui en veut pas, sauf d’avoir déclaré que, depuis qu’il habite la Toscane, il « vit un peu comme tout le monde »… Pour le reste, que les artistes profitent du pognon qu’ils ont souvent péniblement gagné, ne me dérange pas. Ça devrait être la norme. Je préfère qu’on s’enrichisse avec ses talents plutôt qu’en exploitant la force de travail des autres.
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J
A l'heure où j'écris ces lignes, on a déjà oublié Gréco. Il y a quelques jours, je parlais de Gréco à une amie et nous nous demandions si elle était toujours en vie. Peu avant, nous évoquions de la même façon Annie Cordy. Il arrive un moment où on ne sait plus. <br /> <br /> Chez ceux de notre génération, l'image de Gréco est associée au personnage de Belphégor (qu'elle n'incarnait pas) plus qu'à celle de la bohème de Saint-Germain-des-Prés, image qui déjà commençait à dater du temps de ce feuilleton, qui fit date. <br /> <br /> L’œuvre est de l'excellent Claude Barma ("Le Chevalier de Maison-Rouge, "Les Rois Maudits", la série des "Maigret" avec Jean Richard dans le rôle éponyme), elle vit débuter Yves Rénier, le futur Commissaire Moulin, qui peu après son rôle d'étudiant dans Belphégor incarna le journaliste Pierre Ribard dans la série "Les Globe-Trotters", aux côtés de l'Américain Edward Meeks. Partenaire d'Yves Rénier dans la traque du fantôme du Louvre, la séduisante Christine Delaroche poursuivit sa carrière dans le théâtre, avec quelques apparitions au cinéma et à la télé. <br /> <br /> <br /> <br /> Je viens de citer une poignée de noms qui ne diront rien aux gens de trente ans, et moins encore à ceux de vingt. Nos contemporains classent, comme tu le fais Sumac, Gréco parmi les figures d'un monde disparu que beaucoup auront idéalisées en les comparant, travers inéluctable, à leurs successeurs jugés qui laborieux qui surfaits, avant que d'être faits. <br /> <br /> Et l'on retombe dans ce qui compose l'ossature de nos dialogues depuis à présent quelques années, Sumac. Le rapport au temps, au temps présent et à celui qui fût, à "ce que ce fût" - selon la célèbre formule, voulue hermétique, d'un Lacan. <br /> <br /> <br /> <br /> Tu cites cet épisode où Gréco pique une colère contre son employée de maison qui avait rangé son bureau, croyant bien faire. Et tu en tires cette conclusion, je te cite : "C’est à la façon de traiter le petit personnel qu’on voit la véritable personnalité de quelqu’un". <br /> <br /> <br /> <br /> Voilà le hic. On voudrait bien que Brel, Ferré, Brassens, Ferrat, Gréco, parce qu'ils appartiennent au passé et qu'ils nourrissaient un idéal, fussent des coeurs purs détachés des choses matérielles, par opposition à nos stars d'un disque qui paradent en limousine de palaces en festivals, apparaissent affalés dans des transat au bord de piscines jouxtant des propriétés hollywoodiennes, rappers cousus d'or, chanteuses de R'n'B aux robes lamées, sous-produits de la Starac' et The Voice propulsés sur la scène et le lendemain devant les caméras, qui iront comme il se doit enregistrer à Los Angeles (ce qui était déjà le cas de Sheila dans les années 80, mais ça impressionne toujours, Los Angeles, même si ce n'est pas dans les studios qui ont vu défiler les plus grands), pourquoi pas en duo avec Sting (collectionneur de duos aberrants qui n'a pas encore enregistré de duo avec Mireille Mathieu, mais ça se fera au prochain come-back de Mireille Mathieu), etc. <br /> <br /> On voudrait bien que Brel, Ferré, Brassens, Ferrat, Gréco, Reggiani, etc... aient passé leur vie dans d'obscures mansardes à écrire leurs chansons à la lumière d'une ampoule poussiéreuse, nourris de sandwiches devant un cendrier plein à ras bord. Mais voilà ! Gréco possédait une luxueuse résidence à Ramatuelle, où elle est morte ; Brassens habitait un bunker parisien farci de détecteurs d'intrusion et d'incendie, habité de la crainte que le feu dévore sa bibliothèque et que des cambrioleurs y fassent irruption ; la demeure de Ferrat en Ardèche n'avait rien d'un ermitage bohème, même si elle abrita, après la mort du chanteur, les derniers jours d'Allain-Leprest, poète maudit atteint d'un cancer, qui s'y suicida ; Serge Reggiani habitait Mougins, au-dessus de Cannes ; Bécaud avait annexé le quarantième étage d'une tour de la Défense, où il avait fait monter son piano bleu au moyen d'une grue ; Ferré galéra longtemps avant d'acquérir un château dans le Lot, qu'il abandonna, après que des chasseurs aient abattu ses chimpanzés, pour partir d'installer dans une magnifique propriété en Toscane où, à l'heure actuelle, son épouse Marie et Matthieu son fils aîné gèrent la production d'un chianti et d'une huile d'olive renommés. Le seul, Brel poursuivit, après ses adieux à la scène, et les tournages que l'on sait, une vie que l'on pourrait qualifier d'aventureuse et bohème. Parti aux Marquises, il se déplaçait dans l'archipel, aux commandes de son hydravion, avec un projecteur de cinéma et un écran pliant pour aller apporter aux marquisiens la magie du cinéma. <br /> <br /> <br /> <br /> Tous Grands Anciens qu'ils étaient, partis de rien pour la plupart, ils n'en faisaient pas moins partie de cette nébuleuse du show-biz qui a toujours brassé énormément d'argent. Eux ont longtemps cachetonné avant de "brûler les planches", comme on disait à leur époque. De leur temps, un appartement bien placé, une propriété enviable, un château délabré coûtaient ce que vaut aujourd'hui une banale grosse cylindrée allemande de milieu de gamme. Leur en voudrait-on d'avoir sacrifié à une certaine opulence, que peu d'entre nous se refuseraient s'il leur était donné d'y accéder, et au nom de quoi ? <br /> <br /> Les stars d'un disque et autres sous-produits de la Starac' et The Voice, cités plus haut, se baladent dans des limousines de location, se font photographier dans des propriétés louées à prix d'or par leurs maisons de disques, les films où elles apparaissent sont oubliés sitôt projetés et Los Angeles, lorsqu'elles y enregistrent leur tube d'une saison, compte nombre de studios d'enregistrement plus ou moins renommés entre East Hollywood et Laurel Canyon. N'enregistre pas qui veut à Capitol. La frime est là pour suppléer au talent besogneux. Ce n'est plus le public qui tranche, il suit ce qu'on veut lui vendre. C'est la mémoire qui fait toute la différence.
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