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101e km
1 août 2020

Joël Giraud prouve que le Canard est toujours vivant

 

joel giraud - complotJoël Giraud fait partie des 11 nouveaux (ou pas) Secrétaires d’État nommés, en plein été. Comme à son habitude, Le Canard Enchaîné s’est penché sur la biographie des promus afin d’y dénicher de quoi amuser son lectorat. Il a donc trouvé quelque chose, forcément, mais il convient de tirer son chapeau à son auteur. En effet, M. Joël Giraud est (un peu) connu pour être le député (ou un de ceux qui sont) le plus actif de l’Assemblée en ce sens qu’il pose le plus de questions, écrite et orales, au Gouvernement. Cela va de l’activité mercenaire au problème d’un village de sa circonscription traversé par une (ex) route nationale où un camion ne peut y croiser un autre véhicule. Bien entendu, l’essentiel est occupé par l’économie montagnarde et, surtout, la défense des transports ferroviaires dont, notamment, un des deux derniers trains de nuit. C’est grâce à son obstination que le Paris-Briançon a été maintenu. Il en est un client régulier pour l’emprunter avec l’autre député des Hautes-Alpes, pour se rendre chaque semaine à l’AN. Seulement, ce n’est pas ça que les lecteurs du Canard attendent chaque mercredi. Ils veulent du sensationnel, du risible et, sur la quantité, l’auteur de l’article a déniché une perle pour la livrer en pâture aux ricaneurs. Bien entendu, un journal satirique n’a pas vocation à tresser des lauriers, bien au contraire. Il fournit à son lectorat, fidèle, ce qu’il a envie de lire. Et les lecteurs du Canard se délectent, chaque semaine des turpitudes et faiblesses de notre personnel politique. Il fait ce que chaque journal, chaque média audiovisuel fait pour attirer ou, au moins, conserver son public. Nous critiquons ici, régulièrement, France-Inter mais en sachant que, de toute façon, elle diffuse les émissions que les auditeurs parisiens et citadins en général veulent entendre. Nous y reviendrons prochainement. La presse écrite, bien avant la radio puis les autres médias audiovisuels l’avait compris : critique politique, invectives, tentatives de déstabilisation du pouvoir et, hélas, calomnies, étaient les recettes de la presse d’avant-guerre. Beaucoup y ont laissé la vie. Ce genre de presse existe encore outre-Manche et singulièrement dans tous les pays anglo-saxons. De nos jours, la presse traite l’information courante et, selon les cas, insiste sur les faits-divers, la vie des vedettes ou les enquêtes. La presse quotidienne régionale n’a toujours pas compris que les lecteurs se moquent des promotions dans la gendarmerie ou des nouvelles plates-bandes devant la mairie et n’achètent encore leur journal local que pour les avis mortuaires. Depuis des décennies, ils accusent le cinéma, puis la télévision, puis l’Internet de leur faire du tort mais ils ne s’interrogent jamais et quand ils le font, trouvent généralement les mauvaises réponses. En France, les quotidiens ne sont pas épais. Il n’y a pas de lectorat pour ça et autre particularité, il y a des journaux dits « nationaux », conçus à Paris où l’on trouve toutes les infos principales alors que, chez nos voisins, toutes les grandes villes possèdent leurs quotidiens dans lesquels on trouvera en plus de l’actualité locale, généralement riche du fait de la décentralisation politique, toutes les informations sur l’état du monde, la science, la culture et, bien sûr, les sports. Ce ne sont pas moins de 30 à 40 pages proposées tous les jours y compris le dimanche où, souvent, sort une édition particulière. En France, ce sont plutôt les hebdomadaires qui offrent des enquêtes fouillées, des grandes entrevues avec des intellectuels et le message qu’on veut faire passer. Ça marche. Les hebdos se portent bien malgré des difficultés récurrentes. Malgré tout, les nouveaux entrants ont dû renoncer. En revanche, la reprise d’un titre déclinant est plus prometteuse. Autrefois, M Jean-François Khan avait repris Les Nouvelles littéraires avant de lancer son hebdo suite à un conflit avec son propriétaire. 40 ans plus tard, son ancien partenaire reprend Le Magazine littéraire avec M. Glucksmann. En revanche, L’Autre Journal n’a pas survécu au départ de son fondateur Michel Butel mais il est vrai que son lectorat était confidentiel. Encore une fois, les lecteurs, les auditeurs veulent trouver ce qu’ils attendent. Le Canard Enchaîné l’a compris depuis longtemps et doit sa survie à sa prudence. Pas question d’innover, de publier des photos en couleur, d’adopter le format tabloïd ou berlinois, de changer le style de ses palmipèdes comme Télérama a changé plusieurs fois de bandeau ou de style de son « Ulysse ». Le Canard occupe un créneau, une niche où il entretient la tradition des jeux de mots faciles, des contrepèteries, des enquêtes sur la fraude fiscale des personnalités et, bien sûr, la satire de la vie politique. Tous les mercredis, les lecteurs se précipitent pour découvrir quelle connerie le Gouvernement a pu encore faire ou quelle énormité a sortie tel ministre. Le Canard Enchaîné entretient cette vieille tradition avec son parfum de placard qui exhale les senteurs d’autrefois et la nostalgie. C’est avec cette tradition, chevillée au corps, qu’il retient ses vieux lecteurs et en attire d’autres qui, paradoxalement, se situent plutôt parmi les progressistes. Ils travaillent dans les professions intermédiaires, comme disent les spécialistes, où les jeunes qui arrivent retrouvent quelques uns de leurs aînés avec, sous le bras ou dans la sacoche, le mercredi matin, une exemplaire plié de l’hebdomadaire satirique. Oh, ils en ont bien entendu parler. Ils ont suivi des études, se tiennent au courant mais n’avaient pas encore sauté le pas. Ce sera chose faite et c’est ainsi que la tradition est entretenue. On découvre petit à petit les rubriques, « la mare aux canard », « l’album de la comtesse », complètement abscons au début, la rubrique de « Jeanne La canne » qui prend le parti de sourire des petites difficultés quotidiennes vécues par les femmes et qui a été imité par d’autres, depuis. Surtout, à notre époque, l’humour consiste surtout à prendre quelqu’un en grippe et à ne lui laisser rien passer. En général, on s’en prend à des troisièmes couteaux, des gens dépourvus de réseaux, des étoiles pâlissantes, bref, des gens contre lesquels il n’y a pas de risque. D’où la recherche de la petite bête chez les entrants au Gouvernement et de préférence les plus petits. En cherchant bien, on trouve toujours quelque chose. Ça plaît bien aux fonctionnaires qui attendent en permanence, qui une mutation, qui une promotion, qui un poste plus convenable. Alors, ceux qui brûlent les étapes, ceux qui lèchent les bottes, ceux qui écrasent les autres, ceux qui, comme M. Giraud, frappent au portillon depuis des années avant de voir enfin leurs compétences reconnues, ceux qui mangent à tous les râteliers, ceux qui reviennent, tous ceux-là sont considérés comme des semblables. Ils ont les mêmes dans leurs services mais pas dans la même catégorie. Il sont des rivaux mais qui ont réussi. Par conséquent, on aime bien apprendre qu’il leur arrive des bricoles, savoir qu’ils n’ont pas payé la réception qu’ils ont donnée ou qu’ils font profiter leurs connaissances de la voiture de fonction. Quand on sait qu’à la Poste, les employés doivent payer leurs stylos (car le nombre alloué est compté) et qu’ils n’ont même pas un carnet de timbres offert à la fin de l’année, on se réjouit de voir épingler des prestigieux collègues. Alors, quand Le Canard nous apprend que l’un d’entre eux a des relations intimes mais illégitimes ou publie la feuille d’impôts d’un autres, même s’il n’y a rien à redire, les tirages explosent. Le mercredi soir, l’édition est épuisée et il faut retirer. Sinon, Le Canard avance plan-plan, sans faire trop de vagues. Son lectorat est plutôt vieux et les plus jeunes aspirent à une vie tranquille. Il y a bien, certes, de vieux anarchistes retirés au vert mais qui ont acquis assez de sagesse pour ne plus s’emballer au moindre frémissement. Le reste est plutôt urbain et, justement, M. Giraud a été nommé à la ruralité. Rien que le mot fait penser à la boue, aux animaux, aux petites maisons sans style entourées d’affreux hangars. On se demande s’ils ont tous la télé. Ne parlons pas des téléphones cellulaires. C’est dans la ruralité que se trouvent les zones blanches. Ils ne doivent même pas savoir ce que c’est, possèdent encore de ces téléphones qu’on voit dans Mickey ou dans les vieux films d’avant-guerre en noir et blanc. M. Giraud va s’occuper de ça. Ce ne sont pas trop les lecteurs du Canard, donc, on ne prend pas de risque à l’épingler avant même qu’il participe à son premier Conseil des Ministres car les Secrétaires d’État n’y siègent que si leur présence est nécessaire, autrement dit, il n’ira pas avant plusieurs mois. Il n’y a donc pas de risque à se payer sa tête. C’est parce qu’il ne prend pas de risque que Le Canard est toujours vivant.

 

*la dernière formule fait allusion à un vieux sketch de Robert Lamoureux qui raconte les échecs successifs d’un chasseur incapable d’abattre un malheureux canard. À plusieurs reprise, l’humoriste répète : « Et le lendemain, le canard était toujours vivant ».

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