Sainte-Sophie ou Ayasofya

10 juillet 2020

Sainte-Sophie ou Ayasofya

On savait que ce n’était plus qu’une question de semaines, de jours, mais cette fois, ça y est, la basilique Sainte-Sophie est rendue au culte musulman. La valeur symbolique de Sainte-Sophie tient dans la taille monumentale de l’édifice byzantin et dans le fait qu’elle illustre tous les manuels d’Histoire lorsqu’il s’agit de traiter l’empire romain d’orient, sa chute et sa conversion en mosquée sitôt que les Turcs se sont emparés de la capitale impériale. L’Histoire universelle est remplie de lieux de cultes qui ont changé d’affectation et pas toujours à la suite d’une guerre. Parfois, une croyance s’éteint, un groupe disparaît ou se déplace, ou encore, une communauté plus dynamique remporte du succès en répondant aux besoins du moment.

Cependant, les Seldjoukides, lors de la prise de Constantinople, s’étaient comportés en simples conquérants et vainqueurs mais n'avaient pas jugé utile d'enlever des objets et représentations chrétiennes comme les mosaïques et les bas-reliefs caractéristiques de l’exubérance de l’art byzantin. Ce ne sont pas eux qui ont mis Constantinople au pillage mais les Vénitiens, quelques siècles plus tôt. Les Turcs ont posé des tapis à terre et, au cours des siècles, rajouté des minarets. Erdogan ira plus loin et effacera toute trace de son passé chrétien et dans moins de deux générations, tout le monde, là-bas, sera convaincu que ça a toujours été une mosquée. Comme aujourd'hui, il est possible de modifier n’importe quelle photographie, les autorités turques pourront prétendre que les documents historiques ont été falsifiés. Les Turcs sont passé maîtres dans la réécriture de l’Histoire. Ainsi, depuis des décennies on a rasé les villages peuplés d’Arméniens, de Grecs, d’Arabes, de Kurdes afin qu’il soit impossible de prouver qu’ils aient existé. On emporte soigneusement tous les gravats et l’on apporte des rocailles des environs et en quelques mois, il ne reste plus de trace. Parfois, des monuments sont conservés mais non pas tant comme prises de guerre mais pour assurer la légitimité de la présence turque dans les régions peuplées différemment. C’est comme ça que le drapeau turc flotte sur le fort de Kars. Dans la population, pourtant réputée tolérante et hospitalière, on est persuadé que les minorités grecques en Thrace et ailleurs sont venues dans un pays qui n’était pas le leur. Des touristes en vacances en Turquie peuvent entendre leurs guides leur expliquer, notamment lors de visites des cités souterraines, qu’elles ont été construites pour résister aux envahisseurs sans préciser, en toute bonne foi, qui étaient donc les envahisseurs en question tant ils sont persuadés de la présence immémoriale des Turcs malgré les récits des conquêtes appris sur les bancs de l’école.

Dans les heures qui ont suivi l’annonce, Erdogan a indiqué que l’édifice continuerait d’être ouvert à tous. Lors de son arrivée au pouvoir, il se présentait comme un « démocrate-musulman » par analogie avec les « démocrates-chrétiens » européens et affirmait que le caractère républicain et laïc serait maintenu. De toute façon, il est possible pour tout le monde d’entrer dans une mosquée, pourvu qu’on en respecte le caractère sacré et la Mosquée Bleue, voisine, est ouverte à tous. Donc, rien de bien rassurant de ce côté. Dans le désordre mondial actuel, la reprise de Sainte-Sophie n’est pas la préoccupation majeure ni même secondaire. Les Grecs (habitants de la Grèce) et les grecs (fidèles de la religion chrétienne orthodoxe de rite byzantin) protestent mais quel poids pèsent-ils ? Les Grecs ont été ruinés par leurs gouvernements de droite successifs avant d’être remis au pas par des gouvernements de gauche finalement sanctionnés par les urnes. La Russie, dont la capitale, Moscou se prétend la « Troisième Rome » et gardienne des valeurs chrétiennes en Orient, a d’autres préoccupations ; d’ailleurs en partie en rapport avec cet engagement. L’Europe n’existe pas et les États-Unis subjugués par leur Président doivent faire face à l’épidémie de covid 19. Et puis, ce n’est pas leur religion Réformée. Lundi, on n’en parlera déjà plus, d’autant que la préoccupation du moment c’est de savoir où partir en vacances malgré la crise sanitaire alors que l’état d’urgence sanitaire prend fin très opportunément. La plupart des Turcs comprennent bien la manœuvre de leur Président mais n’acceptent ni ne comprennent les protestations de l’étranger.

Cliché : JACQUES SIERPINSKI AURIMAGES VIA AFP