Mon Général
C’est drôle mais depuis quelques mois, les émeutiers et ceux qui sont d’accord avec eux semblent avoir besoin d’un chef. Alors même qu’ils refusent toute idée de simples porte-paroles locaux, de représentants, voici qu’ils en appellent carrément à des personnalités pour prendre la tête du pays. Au tout début du mouvement des gilets-jaunes, ils fondaient leurs espoirs dans une prise de pouvoir par le général de Villiers. Comme celui-ci a rapidement fait savoir qu’il n’était pas intéressé, ils ont poursuivi le mouvement sans véritable méthode ou but.
Depuis la fin du confinement, les groupes de gilets-jaunes reprennent leur activité et s’en remettent désormais au professeur Raoult. On ne sache pas que le brillant épidémiologiste soit intéressé. Le point commun entre le militaire et le médecin, c’est que les deux se sont dressés l’un contre son chef, l’autre contre l’institution. Pour des gens qui se font des idées simplistes du pouvoir et de la manière de l’exercer, il suffit d’être compétent ainsi que leur situation au sommet de la hiérarchie le prouve. Quand en plus ils profitent de leur notoriété pour contester les ordres des rares qui se trouvent encore un peu au-dessus, ils remplissent toutes les cases pour devenir, sinon le chef de la rébellion, du moins une alternative souhaitable.
On aurait tort de rire de ce simplisme, mâtiné de complotisme et de recherche de l’homme fort qui donnera enfin un coup de pied dans la fourmilière car il est partagé tant par la mouvance des gilets-jaunes que par les récents manifestants de la cause anti-raciste qui s’étonnent qu’on ne puisse pas entrer dans le palais de l’Élysée et y déloger le Président ainsi que ça se fait en Afrique. Au-delà de ces péripéties, nous assistons depuis quelques années à une crise de la légitimité. Les appels à des représentants tirés au sort, à des professionnels reconnus dans leurs domaines mais hors personnel politique, la demande de référendums, le lancement de pétitions, le refus du résultat des urnes sont autant de signes qui montrent que la population ne reconnaît plus la légitimité de ses représentants. Dès le début, le mouvement des gilets-jaunes s’en est pris aux élus et à leur traitement plutôt qu’aux dividendes indécents réclamés par les actionnaires et aux traitements des patrons du CAC 40 et autres, nommés en conseils d’administration qui sont pourtant sans commune mesure avec le traitement des élus et des hauts-fonctionnaires.
À cette défiance, s’ajoute désormais une série de manifestations et de protestations en tout genre qui marquent un profond ressentiment envers la police. Il n’est pourtant pas lointain le temps du soutien après les attentats suivi de l’indifférence quand elle réprimait les Nuits debout. Il a fallu les affrontements avec les gilets-jaunes pour qu’on se rende compte enfin des ordres insensés donnés et de leur application zélée par les agents et les gendarmes. Certes, ce ne sont pas les mêmes qui dénoncent la violence policière dans les manifestations et ceux qui la dénoncent dans la répression de la délinquance ordinaire mais les deux convergent dans le rejet de ces gens en uniforme, bien équipés, qui se croient tout permis. On a vu, tant dans le mouvement des gilets-jaunes que dans celui qui dit lutter contre le racisme que, au-delà de la police et de la gendarmerie, c’est le pouvoir, le gouvernement, les élus, les fonctionnaires qui sont visés et qui sont rejetés. Si les uns rejettent tout émergence d’un représentant ou même simple porte-parole tout en appelant un sauveur potentiel, les autres s’en remettraient volontiers à un chefaillon local qui organiserait la vie quotidienne, vu que le reste n’a, au fond, aucune importance. Dans les deux cas, on entend un rejet de l’organisation politique actuelle et habituelle pour marquer sa préférence pour un repli sur soi.
En fait, la perception du pouvoir et de l’exercice du pouvoir est assez simple. On pense qu’un chef d’État doit seulement se montrer apte à réagir à tous les coups du sort, comme une crise financière ou une attaque de virus. Quand il n’y en a pas, on imagine qu’il se la coule douce aux frais de la princesse tout en entretenant une administration pléthorique et inutile. Dès lors, on se tourne vers des personnalités connues pour avoir consacré leur vie à la tâche en pensant que quelques responsabilités en plus ne leur feraient pas peur. La réalité des propos échangés sur les réseaux sociaux est encore plus superficielle.
La démocratie française connaît depuis des décennies à présent, un abstentionnisme de résignation. Après les illusions perdues au cours du premier mandat du Président Mitterrand, on comprend qu’il n’y a pas de grandes différences entre les majorités au pouvoir. Les présidents et assemblées sont davantage élus par rejet d’un ou deux projets de ceux qui sont aux affaires, d’où le changement systématique de majorité que le quinquennat a encore accentué. Le peuple souverain comprend que, quoi qu’il fasse, quoi qu’il vote, il n’a aucun pouvoir sur les grandes lignes. Pis, depuis plusieurs années, on comprend que même celui qu’on considère comme le chef tout-puissant voit ses pouvoirs de plus en plus limités, notamment par des traités et autres accords signés dans le cadre d’appartenance à des organismes supra-nationaux comme l’OMC et, surtout, l’UE vue, désormais, comme une machine bureaucratique qui entrave toute action.
Comme un fait exprès, les 70 ans de l’appel du 18 juin 1940, déconfinement surveillé oblige, ne seront pas célébrés comme il se doit et, au moment où des initiatives sont prises pour réaffirmer la souveraineté du peuple et, par voie de conséquence, la souveraineté de la France. Les références à De Gaulle se font de plus en plus pressantes en se rappelant qu’il a tenu tête au chef des armées, au nazisme, aux autres grands vainqueurs de la guerre puis aux partis politiques, des années plus tard. La discrétion qui entoure l’anniversaire de l’appel du 18 juin 1940 arrange bien la politique menée pour en finir avec le modèle et l’exception français et faire du pays un membre ordinaire des instances internationales sans plus d’influence que les autres afin de ne pas contrarier les dogmes libéralistes et de continuer à faire de la France et de l’Europe toute entière des vassaux des deux grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine qui ne cachent pas leur ambition d’en faire, non pas des partenaires, comme affirmé, mais de simples clients.
Le Général De Gaulle avait rendu leur dignité aux Français et fait l’unité autour de sa personne charismatique. C’est bien ce qui semble manquer le plus aujourd’hui car, De Gaulle a toujours été contesté. Bien peu avaient entendu son appel le 18 juin 1940 et les médias n’étaient pas omniprésents comme de nos jours. Après la Libération, il quitte le gouvernement provisoire, faute de s’entendre avec les autres composants de la vie politique renaissante. Revenu aux affaires en 1958, il se heurtera toujours à une forte opposition. Néanmoins, même à l’époque, la plus grande partie de la population se sentait bien représentée par cet homme qui avait montré sa force face à ses ennemis mais aussi face à des alliés conquérants. C’est probablement sur ce point que les Français se braquent depuis des années : l’impression que le chef de l’État se soumet aux puissances étrangères et aux grands trusts. Certes, la plupart des gens se fichent des relations extérieures mais perçoivent l’affaiblissement constant du pouvoir. Dès lors, ils n’ont pas envie d’écouter un chef qui donne l’impression d’être faible avec les forts et de demander toujours plus de sacrifices aux plus fragiles tout en organisant leur fragilité. La demande de plus de souveraineté se fait plus forte malgré l’assimilation au populisme par les médias. Le pouvoir répond par toujours plus d’intégration et d’uniformisation. En fait, un peuple a besoin de se sentir protégé. De Gaulle, par ses faits d’arme, par son poids dans l’Histoire pouvait jouer ce rôle protecteur. Son successeur, Pompidou, a bénéficié de cette aura. Mitterrand et sa « force tranquille » avait vu juste mais, depuis, il manque cette force protectrice. À sa mort récente, on n’a rappelé que le non de Chirac aux États-Unis parce qu’on avait l’impression d’être assez fort. Seulement, les appels à un homme prétendument fort, n’expriment plus une demande de protection mais d’autorité.