Affaire McKinsey : qui gouverne la France ?
L’affaire McKinsey, du nom de ce cabinet de conseils, devient la goutte qui fait déborder le vase. Elle ne saurait nous étonner dans la mesure où dans un précédent article, La mission Macron ,
nous avions dénoncé les initiatives prises par le Président de la République pour affaiblir le rôle de État et des pouvoirs publics afin, disons-nous, de faire de la France un membre parmi d’autres des institutions internationales. Jusqu’à présent, depuis l’obsession du Général De Gaulle pour « la grandeur de la France », ses successeurs ont toujours mis un point d’honneur à maintenir le pays à un rang que sa taille et son poids démographique ne justifient pas vraiment. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, des pays autrement plus important ont vu le jour et, à l’aube de ce siècle, ont acquis le statut de « pays émergents » qui tend à remplacer avantageusement celui de « pays en voie de développement ». Pourtant, ce n’est pas pour faire de la place à ces jeunes puissances que la France est incitée à s’effacer mais bien pour voir émerger une Union Européenne. Après avoir théorisé le TINA de Thatcher, après avoir signé le traité de Maastricht, la compétition voulue par les nouvelles institutions entre les États membres empêche paradoxalement la constitution d’un bloc européen. À l’heure de la mondialisation, la voix de la France, dont la population demeure attachée à ses services publics et ses pôles industriels pilotés par un État fort, devient intolérable. Par conséquent, pour parachever la construction européenne impulsée par le duo Mitterrand-Delors, il convient de réduire le poids de la France et donc le rôle de l’État. Thatcher (déjà citée) avait montré l’exemple en faisant appel au privé jusque dans les cabinets ministériels. En France, c’est plus compliqué dans la mesure où les Français ne comprendraient pas. Comment, avec le nombre de diplômés qui intègrent la fonction publique, ne pas trouver parmi eux de quoi remplir les tâches ? D’un autre côté, les Français se plaignent toujours de payer trop d’impôts et apprécient les discours visant à réduire le budget de l’État, sans réaliser que ça conduit à réduire le nombre de fonctionnaires avec lesquels ils sont en contact au quotidien, aux guichets des prestations sociales, dans la police, à la poste et dans les établissements scolaires, notamment. Néanmoins, tous les Français ne tombent pas dans ce simplisme et beaucoup sont conscients que malgré des erreurs qui conduisent parfois à des situations insensées ou dramatiques, l’administration fait du bon boulot.
La réduction du nombre de fonctionnaires passe néanmoins très bien auprès de l’opinion publique. La réduction de la masse salariale paraît un signe de très bonne gestion. Sauf qu’il faut bien que le travail soit accompli et pour cela, les administrations d’État ou territoriales doivent recourir à la sous-traitance. L’avantage, c’est que ça n’apparaît pas dans la ligne de budget des salaires. Jusqu’à présent, les collectivités territoriales ou la Sncf qui mettent un point d’honneur à sous traiter n’ont pas vraiment amélioré les prestations fournies au public. Qu’importe, la doxa maastrichtienne impose de tels choix qui s’inscrivent dans la conformité à des règles de libre échange, de concurrence qui favorise de fait, les plus forts, les mieux encadrés par des avocats d’affaires. Cependant, ce n’est pas forcément cet aspect qui a inspiré le choix du Président Macron de faire largement appel à des cabinets de conseils supra nationaux mais plutôt son souci de se conformer aux diktats de l’ulralibéralisme sans perdre de vue son projet de réaliser au plus vite une souveraineté européenne en lieu et place des souverainetés nationales. Ce n’est pas tant le travail que fournit le cabinet McKinsey qui est en cause mais sa conformité avec les principes de l’ultralibéralisme, en vue de parvenir à la souveraineté européenne pour faire de l’UE un marché unique composé de plus d’un demi milliard de consommateurs aisés. Il y a longtemps que l’UE s’ingénie à vouloir imposer le triptyque Intercommunalité-Région-Europe, en lieu et place du très républicain et très français triptyque Commune-Département-État. Notons au passage que ce dernier découle du suffrage universel direct tandis que le premier est issu de cooptations, certes à partir d’élus mais des élus bridés par des réglementations et des contraintes budgétaires. N’oublions pas qu’en France, c’est le Président Mitterrand qui a impulsé la régionalisation et que c’est le Président Hollande qui a imposé des grandes Régions de « taille européenne ». Toujours ce souci des socialistes de se montrer les premiers de la classe européenne et ultralibérale.
Le dernier coup porté à la puissance de l’État, c’est la suppression de l’ÉNA, certes remplacée par un Institut du Service Public mais l’on notera que la référence « nationale » a disparu. Officiellement, c’est pour marquer la vocation a former aussi des fonctionnaires territoriaux. Il n’empêche que l’ÉNA était la seule grande école française de dimension internationale et qu’il faudra du temps avant que l’ISP n’acquière la même notoriété. Et puis, on peut raisonnablement penser que c’est sur le conseil de McKinsey que le Président Macron, a pris la décision de supprimer une grande école dont il a été lui-même un brillant élève. McKinsey n’a aucun intérêt à laisser perdurer un concurrent direct, qui plus est, infiniment moins coûteux. C’est bien comme ça qu’il faut comprendre le dogme de la concurrence libre et non faussée ». À partir du moment où les cabinets de conseils privés investissent les ministères et les grands corps d’État, l’ISP formera surtout les fonctionnaires territoriaux.
Outre l’affaiblissement des pouvoir publics et de la souveraineté de la France – ce dont peu de citoyens se préoccupent – on éprouve la désagréable impression que pendant ces années, la France a été gouvernée par McKinsey & Company ; ce qui en dit long sur la gouvernance réelle des États-nations. D’où le malaise de plus en plus perceptible dans l’opinion publique qui, depuis déjà plusieurs années, se rend compte que quel que soit le résultat des élections, c’est toujours la même politique qui est appliquée. D’où le rejet par de plus en plus de personnes de la notion même de démocratie puisque les représentants élus doivent se conformer à des directives venus de plus haut et dont l’UE semble la caisse de résonance. Parvenus à leurs postes, les élus se rendent compte qu’ils ne pourront pas mettre en place le programme sur lequel ils ont été élus. D’où, enfin, la baisse de popularité du Président Macron dans des sondages qui, jusqu’à présent, malgré les émeutes des gilets-jaunes, malgré la crise sanitaire, malgré les impondérables de la vie politique, se maintenait envers et contre tout, et plutôt assez haut, contrairement à tous ses prédécesseurs affaiblis par l’exercice du pouvoir.
Était-ce déjà McKinsey qui avait conseillé M. Macron, alors Ministre de l’Économie, la libéralisation du transports en autocars ou bien est-ce cette décision symbolique qui a conduit à l’appeler à se présenter à la Présidence de la République ? Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement à présent que M. Macron s’acquitte parfaitement de la tâche qui lui a été confiée ; confiée en apparence par le peuple souverain mais en réalité par les puissances qui possèdent réellement le pouvoir. Les médias participent largement du choix des candidats dans la mesure où ils ont obtenu la règle de « l’équité » qui leur permet de favoriser ceux qui méritent, selon eux, de se présenter. Parmi cette petite poignée, il y en a toujours un qui a leur faveur. Inutile de rappeler les noms de ceux qui auraient dû, selon eux, occuper l’Élysée. En édictant des règles fermes, on limite les risques et il faut entendre comment, quelques jours avant le premier tour de l’élection, les impétrants sont traités. À présent qu’on connaît l’influence de McKinsey, force est de constater que les grandes mesures décidées au cours du quinquennat l’ont été par ce cabinet international. Ça veut dire que c’est McKinsey qui a géré la crise sanitaire et ça éclaire sur les hésitations et les contradictions. Ça veut dire que c’est McKinsey qui inspire la réforme des retraites qui passera sitôt la réélection du Président Macron. Ça veut dire que c’est McKinsey qui va obtenir que la France cède son siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU à l’UE. Ainsi, les É-U (et l’Otan) seront-ils à l’abri des sautes d’humeur d’un allié par toujours docile. Gageons qu’en héritant de ce siège permanent, l’UE se montrera une alliée indéfectible des É-U dans les grandes instances internationales, à côté de la Grande-Bretagne qui, elle, conserve son siège permanent. Plus de risque de voir un Président français montrer son indépendance vis à vis des grandes puissances. Désormais, alignement de rigueur.
On peut penser que la part grandissante des cabinets de conseils privés, dans la gouvernance de la France date du début des 2010s quand les États-nations étaient sommés de se conformer aux diktats des agences de notation, en dépit du programme sur lequel le Président de la République avait été élu. Nous y avions consacré aussi deux articles
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/08/13/21784904.html
http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2011/10/19/22403951.html
On remarquera qu’on n’entend plus parler de ces agences de notations et l’on peut faire le lien avec l’arrivée des cabinets de conseils privés dans les ministères et même à la Présidence de la République. Ces cabinets privés savent parfaitement ce qu’il convient de faire pour complaire aux agences de notations qui exercent un pouvoir de police de la pensée économique à l’échelle mondiale. Ce devrait être un scandale à la même échelle or, il n’en est rien. Logiquement, les citoyens qui participent à des élections démocratiques (ne parlons des pays qui organisent des simulacres), devraient se rebiffer en apprenant que leurs bulletins ne servent à rien mais que quel que soit le résultat, l’élu sera contraint de se conformer au dogme de l’ultralibéralisme. S’il n’en est rien, c’est en partie à cause d’une résignation qu’on peut observer un peu partout, notamment dans le fonctionnement d’associations ou de réunions de copropriétaires ou locataires. On peut surtout mesurer que le message TINA est bien passé et qu’à force d’entendre la bonne parole dans les médias, une bonne partie des citoyens accepte des mesures qui leur sont plutôt défavorables. On ne peut pas faire autrement. Les autres font pareil et sont plus forts que nous. Demander, ne serait-ce que des aménagements (« l’exception française »), équivaudrait à un recul. Arrive tout de même le moment où trop c’est trop. Arrive aussi le moment où l’on mesure à ses dépens les limites de l’ultralibéralisme et de la mondialisation qui éparpille la production de biens de consommation indispensables tels que les médicaments. La France vient de connaître successivement ces deux moments. Il faut la découverte du rôle obscur mais décisif des cabinets de conseils privés pour que les Français réalisent où se trouve réellement le pouvoir, malgré les avertissements de nombre d’analystes et même de personnalités politiques. Pourtant, au milieu de la semaine avant le premier tour de l’élection présidentielle, on ne parle déjà plus de la gouvernance de McKinsey.
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