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101e km
9 novembre 2022

Noëlle Bréham : 40 ans de CDD (et elle se plaint)

Noëlle Bréham se trouve licenciée de fait par Radio-France et l’on découvre une fois de plus les pratiques de gestion du personnel dans les entreprises de l’audio-visuel. La mémoire collective étant plus que défaillante, on rappellera le grand mouvement des intermittents du spectacle de 2003, partiellement reconduit chaque été à l’occasion des grands festivals. On apprenait alors que toutes les entreprises y recourent, mettant une pression dommageable sur les dits intermittents, c’est à dire à peu près tous, y compris les vedettes. Ce régime des intermittents permet aux employeurs de se dispenser de cotiser pour les aléas de leurs employés. Les accidents de la vie sont ainsi assumés par le statut, c’est à dire la solidarité nationale ou encore les contribuables. C’est tout bénéfice ! Une autre raison est que les médias suivent plus que d’autres l’air du temps et les modes. Ils sont sensibles à l’émergence de sujets de société, de modes. Ils se doivent de réagir promptement à la montée en puissance d’une personnalité. Ainsi, des émissions apparaissent, d’autres disparaissent et le public éprouve rarement la moindre sympathie quand un animateur, un journaliste doit céder la place à un autre plus dans le vent qu’ils adoptent aussitôt.

 

Nous avons plusieurs fois évoqué le cas d’RTL qui s’empresse de faire signer un contrat (un CDD donc) à l’animateur qui vient de crever le petit écran. On lui trouve aussitôt un créneau. Dans le passé, M. Jean-Pierre Foucault s’est vu proposé la tranche de 10 h à midi (grosso-modo) mais il y avait bien quelqu’un qui l’animait la saison d’avant, non ? Plus tard, lorsqu’on a commenté M. Harry Roselmack comme présentateur d’un journal télévisé, aussitôt la station de la rue Bayard (à l’époque) lui a confié son fameux « Journal inattendu » du samedi. Sur RTL, ça se passe plutôt bien. Il y a un esprit maison, une solidarité des personnels qui fait que tout le monde se réjouit du succès de l’autre, pourvu que ça profite à la station. Dans le groupe Radio-France, tout est motif pour lancer une polémique. Tout est suspecté, dénoncé, vilipendé. On feint d’y voir l’intervention politique du château ou des pratiques autoritaires. Ainsi, dans le passé, la paire de journalistes, Didier Addès et Dominique Dambert ont-ils été convoqués en milieu de semaine, en fin d’après-midi par le directeur d’Inter de l’époque, M. Val, qui leur a signifié leur licenciement. Le conflit traînait depuis des mois entre l’attachée de production, mutée à ce poste qu’elle ne désirait pas et où elle n’effectuait pas son travail (arrêt de maladie prolongé) et les journalistes de « Rue des entrepreneurs ». On ne saura jamais ce qui s’est passé réellement et si l’attachée de production a vraiment mal vécu l’autoritarisme des deux producteurs. Les deux versions circulent sur la toile mais comme le public s’en fiche, vu que les deux animateurs n’étaient pas des vedettes, on n’en saura jamais plus.

https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/radio-france-a-annonce-vendredi-le-licenciement-des-journalistes-didier-ades-et-dominique-dambert_229515.html

Le fait est que deux jours plus tard, leur émission était remplacée par une autre, consacrée aussi à l’économie et parfaitement bien ficelée par Mme Jeanperrin. Tout était prêt : reportages, entretiens, invité etc.

 

La présidence de M. Jean-Luc Hees a été émaillée d’un autre licenciement retentissant. La tâche indélébile portée par M. Hees aura été d’être nommé selon une procédure nouvelle, mise en place par le Président de la République, M. Sarkozy, qui entendait reprendre la main sur les nominations dans ce qu’on appelle « l’audio-visuel public ». M. Hees est un professionnel reconnu et qui avait vocation à occuper la présidence, après avoir gravi tous les échelons et dirigé Inter avant d’être licencié par le PDG, M. Cluzel. Ça, le grand public l’ignore car la radio ne produit pas beaucoup de vedettes. On a donc clamé et écrit qu’il avait été pistonné par le château et aussi par la première dame de France, ancienne artiste, qui entretenait des relations d’amitié avec d’autres artistes dont le contestataire Philippe Val, ami également de M. Hees. C’est tiré par les cheveux mais ça plaît à ce qu’on n’appelait pas encore la sphère complotiste. M. Val qui évoluait à l’ultra-gauche passait désormais pour un sarkoziste. C’est l’avantage de n’être pas connu du public. On peut dire n’importe quoi. M. Val a eu à licencier les humoristes Guillon et Porte qui ne savaient pas quoi inventer pour provoquer. Stéphane Guillon avait inauguré la saison ainsi : « Ah ? J’ai dit bite à 7 h 57 sur France-Inter. Que va-t-il se passer ? ». Comme il ne s’est rien passé, il n’a eu de cesse de pousser le bouchon plus loin, dézinguant l’invité de la matinale par exemple. Il a fini par comprendre qu’il fallait s’en prendre à la direction, à son employeur. Sauf que contrairement au cas de M. Addès et Mme Dambert, il ne s’agissait pas de rupture d’un contrat mais d’un contrat arrivé à terme en fin de saison et non renouvelé. Nous venons d’expliquer la pratique. N’empêche, S. Guillon étant connu, on a hurlé au licenciement abusif. L’intéressé a porté l’affaire devant le tribunal qui lui a donné raison et requalifié les 5 minutes de chroniques dans diverses émissions de la station, pendant 7 ans, en CDI de fait.

https://www.programme-tv.net/news/tv/13267-stephane-guillon-radio-france-condamnee-pour-son-licenciement/

C’est que les juges ne sont pas plus éclairés sur la gestion du personnel dans l’audio-visuel que le grand public qui entend un type qui lit un papier pendant 3 ou 5 minutes à l’antenne et le met au même niveau que le journaliste qui lit le bulletin d’information toutes les heures. On s’imagine aussi que l’animateur d’une tranche horaire fait comme tout le monde, qu’il arrive un quart d’heure avant le début de l’émission, salue ses collègues devant la machine à café et s’installe devant le micro en attendant que la lumière rouge s’allume. Voilà, il a fini sa journée après 1 ou 2 heure à l’antenne. Donc, le chroniqueur est un salarié comme les autres et au moins comme tous ceux qu’on entend dans le poste ou sur son application. Nous avions pointé, il y a quelques années, comment une des successeuses de S. Guillon, à savoir Sophia Aram, avait parlé de « notre petite consœur Audrey Pulvar ». Elle se mettait au même niveau alors que l’une lisait son papier pendant 5 minutes, tous les lundis, tandis que l’autre se levait aux aurores tous les jours pour présenter sa session d’information entre 6 h et 7 h du matin. Et puis, les compétences requises ne sont pas tout à fait les mêmes. L’humoriste peut se permettre de balancer n’importe quoi quand le journaliste est tenu de vérifier et engage la responsabilité de sa rédaction. Les juges ont eu d’autant plus la main lourde qu’à l’époque, il était de bon ton de taper sur les services publics en général, et de les accuser de tous les maux. En plus, ça flattait tout le monde. À droite, on fustigeait le coût de l’audio-visuel dit de service public afin d’exiger sa privatisation. À gauche, on y voyait un exemple de la censure par le pouvoir sarkoziste et l’instauration progressive de la dictature. Personne pour dire à l’époque que le conflit entre S. Guillon et son employeur ne nous intéressait pas et qu’il ne faisait pas rire avec ça (ni avec le reste d’ailleurs). L’autre humoriste, Didier Porte, n’était pas connu et gagnait à ne pas l’être malgré sa mise en avant d’une licence en économie. Il a disparu de la circulation et des mémoires même après que M. Stéphane Bern lui a proposé d’intervenir dans son émission sur RTL. Le fait est que malgré le remous médiatique malveillant, les auditeurs sont restés et l’audience a même progressé à la saison suivante.

 

Screenshot 2022-11-09 at 15-42-45 Les P'tits Bateaux podcast et émission en replay France InterTout ça pour dire que Mme Bréham ne devrait pas avoir de problème pour faire requalifier par un tribunal les quelques 40 ans de CDD d’usage en CDI et toucher des indemnités colossales si l’on en juge par celles touchées par S. Guillon pour 5 minutes de parlote pendant 7 ans, à savoir 212 000€ en 2011. De quoi voir venir et tant mieux pour lui car depuis, les employeurs y regardent à deux fois avant de lui faire une proposition. Dans l’article de Télérama, Mme Bréham évoque l’angoisse qui l’étreint chaque été en se demandant si elle va être reconduite à la rentrée. En effet, c’est le cas de tous ceux qui travaillent dans l’audio-visuel et ne sont pas salariés en CDI. Nous avons vu que c’est la majorité de ceux qui interviennent à l’antenne. Dans le passé, une des grandes voix de France-Inter, Jean-Louis Foulquier, avait quitté furieux la réunion de pré-rentrée en constatant que son nom ne figurait pas dans la nouvelle grille. Comme quoi, ça arrive même aux meilleurs.Et puis, cette angoisse est partagée par tous les salariés en CDD qui se demandent toujours si, malgré le bon travail qu’ils effectuent, on ne va pas se passer de leurs services à échéance. Quand on travaille dans un milieu quasiment artistique ou du moins, qui dépend du public, on doit s’attendre à des revers. Est-ce qu’un artiste n’est pas angoissé lorsqu’il arrive dans une ville et n’est pas sûr de remplir la salle, quand il expose et se demande s’il va vendre une œuvre, quand il a enfin trouvé un éditeur et s’inquiète des ventes ? L’audio-visuel dépend de l’audience telle qu’elle est mesurée*, du goût du public qui évolue. Mme Bréham a trouvé une niche plutôt stable depuis 25 ans : les questions posées par les enfants. Le dimanche, en tout début de soirée, il n’y a pas grand-chose à proposer. Plutôt que de se répandre sur ses angoisses estivales, Mme Bréham devrait plutôt se réjouir de s’être vue confier cette émission qui a été reconduite à chaque saison. Au bout des 40 ans qu’elle met en avant, il était temps qu’elle réagisse. Cependant, comme au contraire de Stéphane Guillon, elle n’est absolument pas connue, le tribunal ne se montrera peut-être pas aussi compréhensif même après une vie entière passée à la radio mais sans jamais accéder à la notoriété. Au cours de ces 40 ans, combien d’autres de ses consœurs et confrères n’ont pas été reconduits ! Que sont devenues Brigitte Vincent, Sylvie La Rocca, Sophie Loubière, Sandrine Mercier, Gwenaëlle Abolivier, Sandra Freeman, Colombe Schneck, Laurence Luret, Isabelle Giordano, Tania de Montaigne, Valli, Laurence Pierre, Brigitte Patient, Sylvie Chapelle, Clélie Mathias, Caroline Ostermann, Laurence Peuron, Brigitte Palchine, Marjorie Risacher  ? http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2010/07/10/18547409.html

Et chez les animateurs : Alain Poulanges, Serge Le Vaillant, Laurent Lavige, Mathias Deguelle, Philippe Debrenne, Albert Algoud, Simon Tivolle, Alex Taylor, Frédéric Pommier, Hervé Pauchon ? http://lanternediogene.canalblog.com/archives/2019/06/27/37461565.html

Et Soro Solo et son « Afrique enchantée » ? Pas un mot sur leur départ de l’antenne. Personne pour les regretter ni même s’en rappeler quelque peu. Quand on a salué l’arrivée de Mme Léa Salamé pour l’entretien qui précède le journal de 8 heures, qui s’est préoccupé de ce qu’allait devenir Mme Clara Dupont-Monod qui s’en chargeait alors ? Si certains ont connu une belle reconversion, tous n’ont pas eu la chance de Mme Bréham de se maintenir à l’antenne pendant 4 décennies. Alors, à 65 ans, elle n’a pas démérité et fait partie des rares personnes à pouvoir afficher une carrière complète à l’âge de la retraite. Qui, hors les journalistes salariés, les soutiers de la rédaction, peut se vanter d’autant d’années et qui plus est chez le même employeur ? C’est tout à fait exceptionnel et l’on peut s’interroger sur ce qui lui a valu ce traitement comparé à tout ceux cités plus haut qui ont effectué quelques saisons seulement sur la durée. Par conséquent, elle devrait plutôt se montrer contente. Personne n’a bougé pour la charrette de 2010 et des suivantes. Que sont devenus les centaines d’employés, journalistes, correspondants, chroniqueurs du groupe RFI qui ont perdu leur travail au cours des dernières années ? Qui en parlait, à part nous quelques fois et la presse spécialisée ? La Fontaine ironisait sur selon que l’on est puissant ou misérable, les jugements de cours pencheront d’un côté ou de l’autre. De nos jours, si la puissance pèse toujours sur la Justice, la notoriété pèse davantage. Toute la question est de savoir comment cette affaire va être récupérée et par qui. Ça survient alors que la redevance vient d’être supprimée et qu’on parle de constituer une « BBC à la française », pour ne pas dire qu’on veut reconstituer l’ORTF. Il se peut qu’à l’heure où nombreux sont les foyers qui s’inquiètent de savoir s’ils pourront se chauffer cet hiver et à quel prix, où la menace de coupures de courants plane sur tous (ou presque), il ne se trouve personne pour monter en épingle la fin du énième CDD d’usage de Mme Bréham.

 

* par exemple, on interroge moins de 30 000 personnes et on en déduit que presque 7 millions de personnes écoutent Inter.

 

 

 

Parlant de récupération, on notera la réactivité de Télérama

https://www.telerama.fr/radio/noelle-breham-de-france-inter-chaque-saison-j-ai-eu-la-trouille-au-ventre-de-ne-pas-etre-reconduite-7012870.php

Mme Bréham arrange un peu sa biographie (comme presque tout le monde). Elle cite Roland Dhordain qui n’était plus dans l’audiovisuel public en 1982 et Gilbert Denoyan (créateur de « Question pour un samedi » et « Le Téléphone sonne » en 1977, mort en 2000.

 

 

https://www.lavoixdunord.fr/1251310/article/2022-11-08/noelle-breham-voix-incontournable-de-france-inter-denonce-son-licenciement-apres

 

https://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/actu-tele/apres-quarante-annees-de-cdd-imposes-l-animatrice-noelle-breham-a-ete-licenciee-par-france-inter-20221109

 

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